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dreadnoughts qui accourent à son aide et que le gros des Allemands cherche à envelopper. Sir David Beatty a d’ailleurs, dès le début de la deuxième phase, lancé un croiseur léger à la recherche de la Great fleet, car ses radio-télégrammes peuvent avoir été brouillés par ceux qu’émettent continuellement, avec intention, ses trop nombreux adversaires. En fait, l’amiral Jellicoë a reçu les appels de son subordonné, et tous ses bâtimens s’élancent en faisant donner à leurs chaudières la pression maxima.

Mais on est loin, trop loin ! S’astreindra-t-on à naviguer en ordre, les plus rapides enchaînés aux plus lents ? Non pas ! on sent trop bien l’urgence de secourir les vaillans camarades que l’ennemi va accabler ; aux nouveaux dreadnoughts, donc, aux Marlborough et aux Royal Sovereign de prendre les devans et de dépasser, si possible, les 22 nœuds de leurs vitesses d’essais pour tomber sur la flotte allemande ; et en effet, à la chute du jour, les voici qui apparaissent à l’horizon déjà embrumé par les vapeurs et les fumées de la bataille[1]. La quatrième phase commence.

Quelle en a été la durée ? C’est ce qu’il n’est pas aisé de dire. Ce que l’on sait, ce que l’on croit savoir, du moins, c’est que le commandant en chef allemand donna avant dix heures du soir le signal de la retraite, probablement quand il eut acquis la certitude que le nombre de ses adversaires allait enfin dépasser celui de ses propres unités.

Était-il trop tôt ? Était-il trop tard ?… Évidemment, ce point sera fort discuté. J’incline à croire qu’il était déjà trop tard, et cela parce que la retraite allemande prit tout de suite une allure précipitée, une physionomie de déroute ; parce que les diverses unités tactiques de la flotte impériale étaient déjà confondues, quoique dispersées sur un très vaste espace de mer, à ce point que bon nombre de bâtimens, au lieu de suivre l’amiral Scheer vers Helgoland, trouvèrent plus court, — et plus sage, — de se dérober aux Anglais en passant dans la Baltique le Skager Rack et le Cattégat : parce qu’enfin, en principe, un chef d’armée qui sait bien qu’il ne peut pas compter sur une pleine victoire contre un ennemi très supérieur en nombre ne

  1. Les relations anglaises parlent volontiers du défaut de visibilité ; mais les navires marchands ou les pêcheurs qui se tenaient dans les parages de l’action ne mentionnent pas de brume.