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et d’épopée, qui fait penser aux appellations que se donnaient les volontaires de Bonaparte… Poilus !… Depuis Joffre jusqu’à la dernière recrue, il n’en est pas un seul qui ne soit un poilu. Et il faut voir l’orgueil avec lequel chacun s’écrie : On est des poilus ! Et il faut noter l’enthousiasme avec lequel tous, parlant d’un général fameux, murmurent : En voilà un poilu ! Dans le terme poilu se trouve résumée la gamme entière des vertus du soldat, avec son héroïsme, ses sacrifices, sa bonne humeur et ses misères. »

Les « poilus » ne sont peut-être pas tous des héros, mais les héros abondent parmi eux. Jamais, — les Allemands eux-mêmes en conviennent, après nous avoir tant méconnus et tant dédaignés, — jamais le mépris joyeux de la mort n’a été plus commun qu’aujourd’hui dans cette France qui passait pour dégénérée. Parmi tous les traits d’héroïsme français que nous rapporte M. Gomez Carrillo, il en est quelques-uns qui, ses livres une fois fermés, s’imposent à notre mémoire d’une façon particulière. C’est d’abord l’histoire de ce commandant « tout petit, rageur, mal embouché, tempêtant contre tout, » mais riant et plaisantant sous la mitraille, et qui, à Montfaucon, soutient toute une semaine, avec des forces très réduites, une terrible contre-attaque de la Garde prussienne. En tête de sa colonne, il tire comme un diable, et, à chaque coup, affirme avoir tué un général. Une balle lui casse le bras gauche ; il refuse de se laisser bander et continue à tirer. Un fragment d’obus lui crève un œil. « Alors, horrible et superbe, la figure pleine de sang, il se mit à marcher en avant, comme un fantôme. » Il criait : « Frères, il faut mourir. En avant ! » Tous le suivent. Et, contre toute espérance, l’unité est sauvée, la position est maintenue, et, à la fin, ce sont les Prussiens qui reculent. — Et ce sont ensuite les exploits de la « compagnie des audacieux. » Une nuit, ils se proposent d’aller couper un solide réseau de fils de fer. Ils sont arrivés en rampant et vont commencer leur travail. Tout à coup un énorme réflecteur électrique les éclaire comme en plein jour, et les mitrailleuses allemandes les déciment. Ils ne veulent ni se rendre, ni reculer, et ils décident de continuer leur besogne sous le feu de l’ennemi. Les hommes tombent en grappes : les autres coupent toujours. « Rendez-vous ! » leur crie-t-on. Pour toute réponse, un lieutenant de Marseille entonne un air provençal, tous les