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semaine. Son uniforme et ses bottes lui sont donnés par le gouvernement, comme aussi, on l’entend bien, sa ration quotidienne. Tous les mois il obtient un quart de livre de thé, cinq livres de sucre, et une demi-livre de savon, toutes choses qu’il est tenu de faire durer jusqu’au mois suivant. Joignez à cela, chaque jour, deux livres et demie de pain noir, trois quarts de livre de viande avec de la soupe à volonté, et une assiette de kacha ou bouillie de gruau.

L’ordre de ses repas est le suivant : à six heures, chaque matin, il prend du thé avec du pain noir, — et il va sans dire que, sa ration de pain lui étant donnée pour la journée entière, plus il en mange à ce premier repas et moins il lui en restera pour le dîner de midi et pour le thé du soir. Car c’est à midi qu’a lieu son repas principal, qui consiste dans les susdits trois quarts de livre de viande bouillie avec accompagnement de soupe épaisse aux choux ou à la betterave, et de kacha d’orge ou de sarrasin. On s’assied à quatre autour d’un plat d’où l’on se sert, à tour de rôle, par grosses cuillerées. Deux heures sont accordées pour ce repas de midi. Et puis, à sept heures, encore de la soupe, après laquelle ceux des soldats qui ont l’instinct de l’économie recourent à leur ration mensuelle de thé, en y ajoutant ce qu’ils ont conservé de leur ration quotidienne de pain. Mais encore, naturellement, cette répartition des repas n’a-t-elle lieu que dans la mesure où veulent bien la permettre les occupans ennemis de la tranchée d’en face.

Tous les mois, aussi, le soldat russe reçoit deux livres de racines de tabac hachées à la grosse. Ce tabac « officiel, » il le fume dans sa pipe ou bien en fait des cigarettes, avec un papier blanc, épais et rugueux, qu’il achète par larges feuilles et découpe ensuite à sa convenance. Que s’il veut des cigarettes avec du vrai tabac, force lui est de les payer de son argent. Mais, aussi bien, ces cigarettes forment-elles d’ordinaire son unique achat, avec pourtant, de loin en loin, dans les occasions solennelles, de petits pains blancs qu’il tient pour un régal princier.


Et toujours est-il que, depuis le mois de mai, notre infirmier-amateur vivait assez tranquillement dans sa pittoresque ambulance en pleine forêt, observant à loisir les hommes et les choses, lorsque soudain, vers les premiers jours de juillet, de très fâcheuses nouvelles sont venues troubler son repos. On assurait que l’armée russe de Galicie battait en retraite, devant une poussée formidable de l’artillerie austro-allemande. Bientôt sans doute l’ambulance devrait être évacuée, transportée à Varsovie ou même plus loin à l’Est, — car il n’y avait pas jusqu’à la possibilité de conserver Varsovie qui m’apparût, désormais, bien douteuse. Le mercredi 14 juillet, M. Liddell eut la surprise de voir que des tranchées « de réserve, » voisines de l’ambulance et habituellement presque vides, étaient remplies de soldats debout devant les créneaux, le fusil en main. D’un instant à l’autre, évidemment, l’on pouvait s’attendre à la brusque arrivée du flot