Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 35.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE SCIENTIFIQUE

LE BRUIT DE LA BATAILLE
LE SON DE LA CANONNADE

C’est un caractère curieux de cette guerre qu’on l’entend beaucoup plus qu’on ne la voit. Contrairement à ce qui a lieu dans la vie pacifique, les sensations auditives y sont bien plus nombreuses et intenses que les visuelles. Et c’est pourquoi, malgré les images des journaux illustrés, malgré les reportages et les récits, malgré même les films impressionnans qui défilent sur la toile blanche des cinémas, ceux qui n’auront pas en personne mis la main à la pâte n’auront qu’une idée incomplète, qu’une représentation imparfaite, qu’une image amputée de la guerre moderne, car il leur manquera, en dépit du coup de grosse caisse formidable et anodin dont s’accompagne au cinéma la gerbe des obus éclatans, la sensation qui domine tout et qui enveloppe tous les objets et tous les gestes dans son frisson tumultueux : le bruit impérieux de la bataille.

Dans les guerres anciennes, il n’en était pas ainsi. Les troupes luttant à ciel ouvert avec leurs beaux uniformes polychromes, leurs chevaux bondissans, leurs armes étincelantes offraient sans doute des impressions plus Vives encore à l’œil qu’à l’oreille. Cela fut vrai surtout avant l’invention de l’artillerie, et il est trop évident que le cliquetis des épées antiques contre les bouchers ne devait pas s’entendre, en le doublant même des plus homériques cris de guerre, à une très grande distance. Jusqu’à la présente guerre, et en dépit du bruit des canons dont le rôle et l’emploi furent naguère assez limités, la bataille continua à être surtout pour l’observateur un beau spectacle. Ce fut le temps béni des peintres de batailles, des magnifiques