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Vippaco. Mais la route de Laybach ne se termine pas à Laybach ; ne disons pas encore où elle peut conduire : tant d’obstacles ont été jetés en travers par la nature et par l’art ! Il suffit d’indiquer que l’Autriche a là-bas au flanc une pointe qui menace le cœur. Lorsque le jeune Bonaparte, en 1797, se fut débarrassé de Wurmser et d’Alvinczy, il courut jusqu’à Leoben. Sans doute il s’était au préalable débarrassé d’eux, et il est vrai que le général Cadorna doit garder un œil fixé sur la Brenta et sur l’Adige ; mais il n’a cessé, dans toute cette campagne, de donner des preuves égales de sa hardiesse et de sa prudence. On sent en lui la force intérieure que nourrit la volonté, entretenue toute une vie, de couronner les aspirations patriotiques de trois générations d’hommes d’État et de généraux.

A ne nous rien cacher, qu’on observe soit le front anglo-français, soit le front russe, soit le front italien, il n’est pas impossible que les Austro-Allemands, procédant, s’ils le peuvent, comme ils l’annoncent, à un regroupement de leurs armées, méditent quelque part quelque contre-offensive. Il est probable, et tenons pour certain, qu’ils en méditent une ou même plusieurs, à l’Ouest, à l’Est ou au Sud, ne fût-ce que pour démontrer au monde, et à l’Allemagne ou à l’Autriche-Hongrie d’abord, qu’ils n’ont pas perdu, que les Alliés ne leur ont pas enlevé l’initiative des opérations. L’hypothèse, quand nous l’avons faite, n’était pas téméraire : le bruit se répandait alors, quoiqu’il nous vînt par des canaux qui eussent dû nous être suspects, que Mackensen était arrivé sur la Somme. Il y a dans la stratégie allemande, à la fois perfide et naïve, plus de chinoiserie qu’on ne le croit. Eux aussi, les Allemands peignent sur les murailles, dans l’espoir de frapper l’ennemi de terreur, et de le paralyser, de le clouer sur place, des dragons aux gueules effroyables. Hindenburg et Mackensen, élevés d’un premier coup à la dignité de maréchal, l’ont été ainsi, d’un second, à celle de « dragon vert. » Encore qu’ils aient une existence réelle, et qu’ils soient vraiment des personnes vivantes, ce sont surtout des mythes. Ou, plutôt, Hindenburg est un mythe, et Mackensen est un fantôme. Mackensen, c’est « le Prussien volant, » avec ou sans musique de Wagner. Depuis deux ans, il n’a fait qu’apparaître et disparaître ; et, depuis son apparition dans les Balkans, il semblait s’être évanoui. Ce qui lui est particulier dans cette guerre est de passer pour être partout, mais de n’être jamais où on le signale. On nous le signalait en Picardie : c’était une raison de nous méfier. Le voici, nous dit-on, revenu en Macédoine, et, bien que ce ne soit pas très sûr, c’est beaucoup plus vraisemblable.