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discipline dont ils se donnaient, une fois la semaine, trois coups, pas plus, crainte de l’user.

Encouragés par cet heureux début, les voyageurs gagnèrent le port de Kyodomari, et, de là, dans leur jonque, Hirado. Les Portugais les accueillirent avec de grandes démonstrations. Matsura, qui séchait d’envie sur son île en songeant à ses puissans voisins, se réjouit lorsqu’il vit revenir le bonze vénéré des marchands portugais. Il n’avait au fond que du mépris pour la religion nouvelle ; mais il l’abominait encore moins qu’il ne chérissait les ballots de marchandises. Il se confondit en protestations d’amitié. « Le seigneur de ce pays, écrit François, nous reçut avec beaucoup d’affection et de bonne grâce ; et, en peu de jours, il se fit là une centaine de chrétiens, grâce aux prédications de Fernandez, qui déjà parlait assez bien, et au livre qu’il leur lisait traduit en langue japonaise. » Ainsi en moins d’un mois ils avaient opéré autant de conversions qu’en un an à Kagoshima. Il suffisait que le prince sourit à leurs efforts pour que les âmes s’ouvrissent. Que serait-ce, grand Dieu ! quand le Roi du Japon serait devenu leur ami ? François laissa Cosme de Torres sur cette île et, accompagné de Fernandez et de Bernard, il se mit en route pour Kioto. Il allait pénétrer dans un autre Japon.


XII. — YAMAGUCHI

La décomposition de la féodalité batailleuse faisait de la grande île du Nippon un marécage dangereux, avec des îlots de luxe et de plaisirs. La piraterie écumait les côtes, le brigandage dévastait les routes. La vie humaine était à très bas prix. La tête d’un voyageur dépendait du caprice d’un homme d’armes rencontré sur un chemin, dans une auberge, au coin d’une rue. François et Fernandez avaient logé dans deux besaces tout leur bagage : un surplis, trois ou quatre chemises, une vieille couverture qu’ils partageaient. On les mena d’abord, cachés au fond d’une barque, au port de Hakata, une des villes les plus marchandes de la côte septentrionale du Kiushu. François se rendit à un monastère assez fameux, mais réputé pour sa sodomie. Le supérieur l’y accueillit aimablement, convaincu qu’il recevait un compatriote de Çakia Muni. Il ordonna même qu’on préparât aux étrangers une collation de fruits. Mais François éleva la voix très haut et reprocha amèrement aux