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Sous le bouddhisme, au plus profond de l’esprit japonais, les missionnaires se heurtaient au culte des ancêtres, au culte shintoïste, dont l’origine semble remonter à l’origine même du Japon et qui établissait impérieusement la domination des morts sur les vivans. Comment, s’est-on demandé, cet instinct religieux national ne réagit-il pas en face du danger, et d’où vient sa longue inertie ? Mais le culte shintoïste s’était presque dissous dans le Bouddhisme, à ce point que François n’en parle même pas. Il a ignoré cette religion primitive ou il n’y a vu qu’une secte insignifiante. Quant au culte des morts, il l’avait rencontré partout. Chez les Japonais, il lui sembla qu’il se revêtait d’une piété plus touchante. Loin du Japon, il se rappellera tristement la tristesse que ressentaient ses chrétiens de Yamaguchi en songeant à leurs ancêtres ; et il nous dira de quels argumens il se servait pour adoucir leur peine. D’ailleurs, il ne faut pas exagérer la puissance sentimentale de ce culte qui ne se soutient que par le système des adoptions à outrance. Il est plus fort sur les imaginations que dans les cœurs, et il l’est plus encore dans les conventions sociales. S’il facilitait la tâche des gouvernans en leur préparant des sujets dociles, la tyrannie s’en faisait cruellement sentir à la personne humaine. Or, le Japon, à cette période de son histoire, était emporté par un accès furieux d’individualisme. La seconde partie du XVIe siècle sera remplie d’insurrections de samuraï contre leurs daïmio, de paysans contre leurs seigneurs. Les liens d’obéissance matérielle rompus, pourquoi l’homme eût-il respecté davantage les liens mystiques ? Les Tokugawa, qui rétabliront l’ordre, ne manqueront pas de resserrer plus étroitement que jamais l’asservissement de l’homme à ses ancêtres. La religion chrétienne n’encourageait pas l’esprit de révolte ; mais elle ne contrariait point le désir d’indépendance ; et le shintoïsme affaibli ne lui opposait que des ombres.

Au sujet du Bouddhisme, les lettres de François sont encore plus instructives : « Les Japonais, dit l’apôtre, ignorent la rondeur de la terre ; ils ne savent rien de l’astronomie, rien des causes des nombreux phénomènes. Interrogés par eux sur la pluie, la foudre, les comètes, nos réponses les charmaient ; et ils nous tenaient pour de grands savans, ce qui nous a bien servi à leur faire mieux agréer notre enseignement religieux. » Il est incontestable que le Christianisme ne