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LE MARQUIS DE SÉGUR

Il y a huit ans, aux funérailles d’Emile Gebhart, le marquis de Ségur disait : « En l’espace de quelques semaines, l’impitoyable mort avait inscrit sur son visage ce signe mystérieux dont souvent, à l’avance, elle marque ses victimes et que ceux qui les portent sont, la plupart du temps, les seuls à ne pas voir... » Ce signe mystérieux de la mort prochaine, le marquis de Ségur, à la veille de mourir et le jour même de mourir, ne l’avait pas sur son visage ; et, mort, il n’avait pas sur son visage le signe de la mort : il semblait dormir. A-t-il deviné, lui, sans le dire et gardant pour sa seule et discrète pensée une telle rêverie, l’approche de la mort ? Ceux qui l’ont aimé ne le sauront pas. A peine, en examinant les souvenirs les plus récens qu’on ait de lui, croit-on distinguer, dans sa manière de vous quitter et dans le soin qu’il ne cachait pas de fixer à bientôt les nouvelles rencontres, l’indice de son avertissement : nous ne savons rien de la mort, et de ses préludes non plus ; ceux qui vont mourir ont parfois des silences tels que s’ils étaient affiliés déjà, en secret, à la silencieuse confrérie des morts.

Il est mort le 12 août, vers la fin de la journée. Il avait été malade quelques jours. Il ne l’était plus ; il était en convalescence. Il passa un peu de temps sur le seuil de sa maison, devant le beau jardin, les arbres, le ciel. Et il causait... Puis, quand il fut retourné dans sa chambre, au bout de cinq minutes il mourut en un instant. C’était à la campagne, au château de Villiers, près de Poissy. Et ses amis n’ont appris leur chagrin que le lendemain. « C’est ainsi qu’il quitta ce monde, sans