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tapage, avec modestie, avec simplicité, à sa manière accoutumée, pareil à un homme bien élevé qui, sortant d’un salon avant la fin de la soirée, s’éloigne discrètement et sur la pointe des pieds. » Ces lignes qu’il écrivait ici même, le 15 novembre 1910, à propos d’Albert Vandal, je les copie à son intention : elles sont vraies et justes pour l’un et pour l’autre, qui tous deux partirent avant la fin de la soirée, sur la pointe des pieds ; on n’a pas vu leur départ, mais on éprouve leur absence.


Le marquis de Ségur, né en 1853, était d’une famille qui « fait partie de l’histoire de France : » c’est le mot de Vandal, accueillant son ami à l’Académie française en 1908. Lui-même, Ségur, dans son premier volume, consacré au Maréchal de Ségur, ministre de la Guerre sous Louis XVI, a résumé le passé de sa race depuis le plus ancien de ses ancêtres qui ont eu un rôle célèbre, François de Ségur, seigneur de Sainte-Aulaye, compagnon d’Henri IV en sa jeunesse et plus tard chef du conseil royal. Ce sont ensuite de grands guerriers et diplomates, et gens de cour et gens d’église. C’est, après le maréchal de Ségur, son fils, le comte de Ségur, ambassadeur de Louis XVI et « ambassadeur de l’esprit français » à la cour de Russie ; et puis le général Philippe de Ségur, aide de camp de Napoléon et, dans ses mémoires fameux, poète épique de la Grande Armée. Le comte de Ségur, l’ancien ambassadeur et qui fut, pendant la durée de l’Empire, grand maître des cérémonies, avait un frère qui, dans les récits de l’époque, passe presque inaperçu et qui semble s’être plu à son destin modeste. Il était lié de vive tendresse au grand maître des cérémonies, mais quant à lui signait ses lettres volontiers : « Ségur sans cérémonies. » Je ne sais si, de tous ses ancêtres, le marquis de Ségur ne préférait pas celui-là, fier et doux et qui « traversa la vie d’un pas vif et léger, » celui-là qui avait pratiqué si joliment la vertu de simplicité. Lui aussi, le marquis de Ségur, a pratiqué cette vertu, avec une grâce exquise et naturelle. Mais Ségur sans cérémonies, un jour que le Premier Consul lui offrait un régiment, répondit : « Citoyen premier Consul, je porterai mon habit gris quand il s’agira du salut de la patrie ; mais je ne porterai jamais l’habit de colonel du régiment que j’avais avant la Révolution. » La simplicité véritable n’est pas l’oubli, la négligence de ce qu’on doit à soi-même ou à sa