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un peu du XVIIIe siècle, disait Vandal ; vous en avez la politesse, la distinction et le sourire... » Il était un peu du XVIIIe siècle, et il était aussi de son époque. Lui, qui avait cru constater qu’en somme les siècles se valent et mêlent à leur façon des quantités à peu près constantes de bien et de mal, accordait à chacun d’eux sa mansuétude. Puis, entre le XVIIIe siècle et les années qui ont précédé la guerre, il avait discerné des analogies, quelques-unes effrayantes, beaucoup de légèreté sous la menace, une absurde sécurité, une audace de bravoure étourdie, un déraisonnable défi au Destin qui est le plus fort et qui est brutal. Tout cela, au XVIIIe siècle et au commencement du XXe, ne manque pas d’un air joli : mais tout cela était, une fois et l’autre, coupable. Le mot de Talleyrand, que, si l’on n’a pas vécu à la veille de la Révolution, l’on ignore la douceur de vivre, on le dirait de ces années d’avant la guerre. Sans doute, la douceur de vivre est-elle défendue : Ségur se le demandait. Avec chagrin, peut-être : et avec la volonté ferme du devoir. Il aimait la douceur de vivre ; mais il n’estimait, quant à la patrie, que la volonté de vivre.

Sa connaissance de l’histoire lui était un avertissement. Elle lui donnait de la pitié, de l’inquiétude. Il n’avait pas une intelligence tranquille, mais frissonnante. Son écriture, tremblée, nerveuse, trahissait son émoi ; son style attentif, uni, sage, révèle sa maîtrise d’énergie.

Il avait l’énergie en lui-même, agissante et cachée. Son effort ne se voyait pas. Tel était son art ; et telle sa courtoisie. Même dans son intimité, on savait peu sa rêverie. Il aimait l’amitié ; il en avait le soin très élégant. Il a écrit, de la charité : « A côté de la charité pure, qui prend sa source dans l’amour de Dieu ou de l’humanité, il en existe une autre, moins noble dans son origine, et pour ainsi dire instinctive, issue du malaise qu’éprouvent beaucoup d’entre nous au contact de la misère d’autrui... » Et il s’amusait à trouver là une sorte d’égoïsme. Il en trouvait aussi dans l’amitié, disait-il, et dans son amitié, qui était ravissante, — et qu’il excusait ainsi.

Sur les sentimens, il raffinait volontiers ; mais sans aller jusqu’à des subtilités qui embrouillent la sincérité franche. Il était, en amitié comme dans tous les sentimens, clair, loyal, sans arrière-soupçon ni caprice. On n’avait pas à craindre qu’il eût changé.