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autrichienne empressée à complaire aux touristes de passage et à laisser en particulier, dans ce pays tout plein de sites délicieux, libre carrière à l’infatigable et exigeante activité des photographes. Maintenant, les temps étaient changés. Assurément, nous trouvâmes à Pola l’accueil le plus obligeant. Mais les portes, jadis assez facilement entr’ouvertes, de l’arsenal, demeurèrent cette fois fort strictement closes. Et le départ nous réservait une surprise. Comme notre bateau, — un fort innocent yacht de plaisance peuplé de touristes non moins innocens, — quittait la rade de Pola, un torpilleur autrichien sortit à notre suite et, à notre étonnement profond (nous avions cru d’abord, dans notre modeste certitude d’être parfaitement inoffensifs, à une simple coïncidence de manœuvre), il nous accompagna fort consciencieusement à Abbazia et à Zara, prenant son mouillage tout près du nôtre et nous surveillant très ostensiblement. A Zara, un second torpilleur remplaça le premier et nous fit semblablement escorte jusqu’à Sebenico et à Spalato. Là, un troisième assura le service et nous convoya jusqu’à Raguse. A celui-là nous donnâmes au reste une émotion assez forte, en nous arrêtant un soir inopinément devant la petite île de Curzola, où peu de bateaux font escale, où les touristes ne descendent pour ainsi dire jamais : en quoi ils ont grand tort, car la petite ville est pittoresque et charmante à souhait, avec ses vieux remparts, sa haute cathédrale et ses rues étroites toutes bordées d’anciens palais vénitiens. Le torpilleur visiblement ne comprenait rien à cette idée singulière et, en bon dogue un peu inquiet, un peu embarrassé aussi du sot personnage qu’on lui faisait jouer, il tournait autour de nous inlassablement, se demandant quel noir dessein cachait ce mouillage impromptu. Et si nous n’avions, par bonne fortune, à Raguse, quitté momentanément l’Adriatique pour une courte excursion en Bosnie, je crois bien que la marine impériale et royale, — à qui je garde une reconnaissance extrême d’avoir voulu, je pense, très obligeamment assurer notre sécurité en des parages fort dangereux sans doute, — nous eût avec la même conscience escortés jusqu’à Cattaro et à Antivari.

A Sebenico, ce fut une autre aventure. Au moment où nous franchissions les passes, aucun photographe n’avait résisté à la tentation de fixer sur ses plaques l’imposante silhouette du fort San Nicolo. Malheureusement, l’officier qui y commandait