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selon quelques historiens, aurait rempli brusquement les marais desséchés par la canicule.

Les marais de Saint-Gond, sans doute, ne sont plus ce qu’ils ont été ; ce n’est plus le grand lac des temps quaternaires, l’immense émeraude enchâssée dans le cercle d’argent des collines champenoises et dont la vie profonde s’atteste encore aux restes de cités lacustres qu’on aperçoit sous ses eaux. Tels quels, et si réduits qu’on les imagine, il n’est pas de canicule capable d’assécher la partie des marais que n’a pas entamée la culture riveraine. Sous leur flore inextricable de roseaux, qui atteint en septembre 2m,50 de haut, ils tendent à toute époque de l’année le plus sournois et le plus impitoyable des pièges. En outre, ils bordent étroitement les chaussées sur une grande partie de leur parcours. La poussière, les fumées de la bataille les couvraient d’un voile opaque depuis la veille. Mais ces ténèbres diurnes, mortelles peut-être pour d’autres troupes, servaient au contraire les plans d’un ennemi sur qui pèsent encore les ombres de la Forêt Hercynienne et qui semble avoir fait alliance avec toutes les forces obscures de l’atmosphère. Tandis qu’au lever du jour, les tirailleurs du colonel Gros s’égaillaient dans les bois voisins pour tenter de dégager les abords de Mondement, toute une brigade allemande, qui avait pris position à notre insu au-dessus d’Oyes, sortait de ses lignes et se jetait sur le château. Impossible de tenir devant de telles forces. La 4e et la 6e batterie du 49e, en action depuis la veille sur l’esplanade[1], n’ont que le temps d’atteler : dans le mouvement, le colonel Barthal est tué par un obus. Mondement, livré à lui-même, tombe après un simulacre de résistance.

Aussitôt maître du château, qui lui assure enfin la clef des marais, l’ennemi l’organise supérieurement, perce des créneaux dans tous les murs, braque des mitrailleuses à tous les étages et jusque dans les greniers. En même temps, par Saint-Prix et la crête du Poirier, dégagés, ses batteries légères accourent. Dans les beaux salons du pavillon principal, ornés de délicieux panneaux Louis XV, un état-major s’est installé, dit-on, avec un grand personnage qu’on croit être le prince Eitel. Mais le prince Eitel a été signalé en bien des endroits au

  1. P. Fabreguettes, op. cit.