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ils m’apparaissaient. J’ai d’ailleurs appris, le lendemain, que près d’un tiers des rapatriés rapportaient de prison une tuberculose désormais incurable.

Les autorités suédoises avaient invité mes deux compagnons et moi-même à voir, également, l’autre côté du tableau, de sorte que nous pûmes causer à notre aise avec les prisonniers allemands, à la descente du train qui les amenait. Nul moyen de décrire le contraste de leur état avec celui des Russes. Il n’y avait pas un seul de ces prisonniers allemands qui n’eût son uniforme complet, et d’excellens souliers. Tous les boiteux, sans exception, étaient pourvus de commodes béquilles. Et quelle apparence de bien-être physique, et quelle belle humeur chez tous ces Allemands ! Et je songeais, tout en les regardant, que, si même l’Allemagne ne nous avait pas donné d’autre témoignage de la manière dont elle pratiquait la guerre, ce spectacle des prisonniers russes de Tornea aurait suffi à prouver que sa conduite, dans la guerre présente, était celle d’une race de bêtes sauvages, absolument dépourvue de la plus petite lueur de civilisation !


Une race entière ramenée à l’état sauvage, faute de posséder en soi ce « ressort moral intérieur qui permet l’idée du mal et en empêche la réalisation ! » Il faut voir, dans le livre de M. Holmes, la peinture des plus récens progrès d’une « contagion » fatale de vice et de crime dont les débuts n’étaient déjà que trop faciles à observer il y a vingt-cinq ans. Dans un seul quartier de Berlin, le nombre des jeunes gens des deux sexes condamnés pour meurtre ou pour brigandage, nombre qui était de 58 en 1913, s’est élevé à 183 en 1914, et à 254 durant les dix premiers mois de 1915. « Ce sont là des chiffres vraiment effrayans, — reconnaît l’officieuse Gazette de Cologne, — et qui jettent une tache profonde sur notre culture allemande. » Semblablement, une circulaire ministérielle prussienne signale aux autorités provinciales l’accroissement continu du nombre des suicides parmi les jeunes gens. « Les cas de jeunes garçons d’environ seize ans s’étant donné la mort ont plus que doublé depuis le commencement de la guerre. » Telle est, dès aujourd’hui, la lourde « rançon de la docilité allemande ! »


T. DE WYZEWA.