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Aux portes de la ville, les insurgés se heurtent à un bataillon d’infanterie, qui d’abord veut les arrêter et qui se laisse ensuite désarmer. Le passage devenu libre, ils traversent la ville, précédés d’un détachement d’élèves de l’Ecole militaire, cernent le palais et envahissent la chambre du prince Alexandre. Ils l’arrêtent dans son lit et, lui mettant une plume dans les mains en lui présentant une feuille de papier, ils le somment d’abdiquer.

Sans leur répondre autrement que par une protestation dédaigneuse contre le traitement dont il est l’objet, il trace d’une main ferme une seule ligne : « Dieu protège la Bulgarie ! » Ce n’est pas une abdication, mais les insurgés, redoutant l’approche du jour qui sans doute mettrait fin à leur équipée, n’en demandent pas davantage. Le prince, à peine vêtu, est conduit en voiture au Ministère de la Guerre où il peut achever sa toilette et où son jeune frère, François-Joseph de Battenberg, qui était alors en villégiature à Sofia, vient le rejoindre. Quelques heures plus tard, les deux princes sont internés dans lin couvent à quatre lieues de la capitale, où ils attendront de pouvoir sortir de la principauté.

Ils en sortent le 23, par le Danube, et arrivent le 24 à la frontière russe. Là, les conspirateurs veulent les livrer aux fonctionnaires impériaux, mais ceux-ci refusent de recevoir les prisonniers sans en avoir référé à Saint-Pétersbourg. La réponse arrive le 25. Elle porte l’ordre de remettre immédiatement le prince en liberté, mais de le diriger vers le territoire autrichien.

Il semble donc que c’en est fait de la couronne d’Alexandre et qu’il en est définitivement dépossédé. Mais à l’improviste lui arrive un défenseur. C’est Stamboulof. Le célèbre agitateur se jette impétueusement dans la bagarre, se déclare partisan de l’ordre et de la légalité représentés par le prince et, à la faveur de la révolution qu’il est parvenu à écraser, il inaugure le pouvoir dictatorial que nous allons le voir exercer pendant plusieurs années et jusque sous le règne de Ferdinand de Cobourg.


ERNEST DAUDET.