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l’indépendance foncière de son tempérament, dans l’intérêt supérieur de la nation, l’élu de l’Auditorium se retire devant celui du Colisée. Le « bull moose » impétueux cède à l’éléphant pesant, plus lourd, mais aussi plus solide, le terrain sur lequel l’aigle national laisse déjà planer ses ailes. Pardonnant généreusement aux rancunes qui n’ont pas désarmé, Roosevelt se retire de la lutte, non avec l’amertume orgueilleuse de l’amour- propre injustement blessé, mais avec les paroles de confiance qui marquent le désir d’entente, en vue d’une victoire commune : au-dessus des hommes, les idées ; au-dessus des partis, la nation. Pour la sauver du péril d’une politique sans énergie, Roosevelt accepte Hughes.

Par cette attitude, il coupe court aux manœuvres des Allemands-Américains, dont l’intrigue, exploitant le silence professionnel du juge, osait, pour le discréditer, le réclamer comme pro-allemand ; il calme l’inquiétude de ceux qui craignaient de trouver, dans Ch. Evans Hughes, à raison de sa froide prudence, une timidité d’actes, sinon de paroles, semblable à celle qu’en ses écrits énergiques l’adversaire le plus résolu du président Wilson a tant de fois dénoncée ; il enflamme, par une promesse mathématique de victoire, ceux qui, joignant les chiffres électoraux des deux partis autrefois divorcés, maintenant unis, calculent par une simple addition que les démocrates doivent essuyer la défaite, au lieu de surprendre, comme il y a quatre ans, la victoire.

Ni président, ni candidat, le premier des Américains de ce temps ne sera plus que lui-même. Il s’éloigne du gouvernement, et peut-être aussi du parti, dont, la scission ayant été son œuvre, il était juste que la reconstitution fût encore la sienne. Mais, plus il se détachera de l’exercice du pouvoir et de ses avenues immédiates, plus il prendra d’autorité, comme éducateur du peuple, interprète désintéressé du grand devoir national que sa parole et sa plume, aussi ardente, aussi pleine de réalité que des actes, ne cesseront, à l’avenir, comme dans le passé, de dégager du fonds traditionnel de l’idéalisme national.

Le parti progressiste aura vécu ; l’américanisme sera sauvé,


PIERRE DE LEYRAT.