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ce n’est pas uniquement pour exiger l’expulsion de M. de Schenck ou réclamer le contrôle des télégraphes ; car M. de Schenck, en s’en allant, laisse son substitut, M. Streit, Grec, petit-fils de Bavarois, mais Grec, et le télégraphe n’est qu’un des instrumens de l’espionnage. Nous avons autre chose à montrer dans Athènes que les cols bleus de vingt-cinq de nos marins. Dès lors qu’on a certainement les moyens de sa politique, il faut avoir résolument la politique de ses moyens. Il faut se rappeler, surtout là-bas, qu’il y a une manière de résister qui est de paraître céder, et une manière de céder qui est de paraître obtenir. Le vieux précepte est toujours vrai : il ne faut pas menacer d’abord, et puis demander la permission.

Dans un article de la Vita italiana, qui promettait d’être fort intéressant, si l’on en juge par le peu que la censure romaine en a épargné, M. Colonna di Cesarò fait observer qu’une des erreurs de la Quadruple-Entente a été « de traiter avec les nations balkaniques, comme si elles eussent été de grandes Puissances occidentales. » Après deux ans passés de conversations, de négociations, l’Entente finirait-elle par découvrir que l’Orient n’est pas l’Occident ? C’est en grande partie la faute de la manie que nous avons de vouloir que nos institutions et nos idées s’imposent d’emblée et sans étapes à l’imitation de l’humanité tout entière, et, par exemple, de considérer faussement le régime parlementaire comme un fait si important, si caractéristique, à ce point fondamental et primordial à ce degré, que les Jeunes-Turcs, aussitôt qu’ils eurent fait la mine de l’adopter, semblèrent nous être devenus des frères. Pareillement les Bulgares, les rites de leur Sobranié, les redingotes et les chapeaux hauts-de-forme de leurs Radoslavoff ou de leurs Tontcheff. L’habit nous a caché l’âme. Nous nous sommes « fait le tableau » chimérique d’un Orient de notre XXe siècle. Combien nous l’eussions mieux compris, si nous avions repassé et revécu, avec lui, notre XVIe, qu’il vit encore ! Une épithète nous a frappés, dans le débordement d’injures par lequel Hongrois et Bulgares ont accueilli l’intervention de la Roumanie. « Le principal coupable, s’écriait le Budapesti Hirlàp du 30 août, reste toujours Bratiano, ce Machiavel au visage de Janus... » C’est dommage que le second trait gâte le premier, en le surchargeant ; mais l’Orient est encore tout plein de visages de Machiavel ; et, en ce qui touche M. Jean Bratiano, nous ne le prenons pas en mauvaise part. Il a fait, en 1915 et en 1916, environné de périls, le personnage muet, énigmatique, mobile, insaisissable, inaccessible, insensible, qu’il fallait faire. Mais il n’y aurait pas à aller bien loin