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gagner Wilderswyll. Une foule émue contemple le douloureux défilé, les boiteux, les amputés, appuyés sur leurs béquilles. Un adjudant a le pied coupé. Un boiteux se traîne si lentement qu’un Samaritain bernois l’a pris dans ses bras. On emporte sur un brancard le zouave qui a le fémur brisé, et le soldat qui a le pied dans du plâtre, et le garçon bran, si pâle, souffrant, dit-il de méningite, et qui a déjà l’air si lointain ! Des femmes pleurent.

— Qu’est-ce que vous voulez, dit l’un des plus souffrans, c’est pour la France !

Quelques minutes après, nous apercevions la petite gare de campagne, et parmi la foule, les uniformes des soldats français arrivés quelques semaines auparavant, Ils avaient l’air acclimaté déjà : mieux portans et gais, ils souriaient parmi les groupes de paysans bernois. Tout le long de la voie s’alignaient les petites filles en tabliers bleus, des bouquets dans les mains. Leurs tresses blondes dégageaient leurs fraîches figures hâlées qui souriaient ; derrière elles, juchés sur une barrière, les garçons, têtes nues, en blouses nettes, les dépassaient de tout leur buste. Quelle décoration que ces deux files d’enfans immobiles » dans ce bel ordre, et qui tournaient vers nous leurs visages ! Au moment où le convoi s’arrêta, ils tendirent leurs fleurs, et nous avons senti tout leur cœur jeté à la rencontre des soldats français.

La foule escorta les internés à travers le village, portant les musettes et les capotes. Le capitaine Stucki, commandant la région du Haut-Oberland, les installa paternellement dans les hôtels, visita chaque chambre, inspecta les moindres détails relatifs à leur bien-être. Eux, lorsqu’on les conduisit dans les chambres ensoleillées, aux larges fenêtres ouvrant sur les vergers, et où il y avait de bons lits, et même des armoires à glace, s’arrêtaient sur le seuil, éblouis.

— Ah ! on a bien perdu l’habitude de voir ça...

— Ah ! on ne saura pas dormir dans de si bons lits !

Un adjudant, qui depuis dix-sept ans appartient à l’armée, durement blessé, nous dit, son honnête figure toute crispée d’émotion :

— J’ai honte qu’on nous reçoive si bien ! Qu’est-ce que j’ai fait ? Je devrais être sur le front...

Pour atteindre Adelboden, un village de l’Oberland, au fond d’une haute vallée, il faut trois heures de voiture. On répartit les soixante-sept Français et les cinquante et un Belges