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en pays ennemi, on haussait les épaules. Le moins qui pût arriver à l’assaillant, c’était d’être rejeté à la mer.

L’admirable est que la doctrine, — car c’était une doctrine ! — nous venait tout droit, il y a quelque vingt-cinq ans, de nos adversaires eux-mêmes et que nous l’acceptions de confiance, sans réfléchir qu’ils avaient alors, étant beaucoup plus faibles que nous sur la mer, tout intérêt à nous l’imposer. C’est ce qui explique la surprise des militaires, lorsque, dans cette guerre-ci, il y a quelques mois à peine, l’état-major allemand afficha la prétention d’opérer une descente en Angleterre : « C’est une feinte ! s’écria-t-on. L’entreprise est contraire à tous les principes, et ce serait folie pure... »

Ce n’était point une feinte du tout, ni l’entreprise une folie, si les Allemands avaient réussi à s’emparer de Calais et du saillant que fait Gris-Nez du côté de la côte anglaise. Mais c’était fort difficile, — je crois l’avoir montré ici même [1], — parce que, si habilement que l’affaire dût être conduite, avec des pro- cédés tout nouveaux et appropriés, remarquons bien cela, aux circonstances locales, la supériorité navale des Alliés aurait toujours fini par exercer son action décisive. Débarquée, peut-être, l’armée expéditionnaire allemande eût été, en tout cas, enfermée dans sa conquête.

Tant il y a que les Allemands, maîtres reconnus, — ils l’affirment au moins, — dans l’art difficile de la grande guerre, se révélaient à point nommé très partisans des opérations com- binées et que rien ne leur apparaissait chimérique dans l’idée de jeter cent mille hommes sur la côte ennemie, de les pousser en avant, de les entretenir, ravitailler, renforcer d’une manière méthodique et continue.

Quel était donc leur secret et, en fait, pouvait-il y avoir là un secret autre que celui de ne se point embarrasser à l’avance des difficultés, de ne les point proclamer insolubles en vertu de raisonnemens abstraits, de les examiner froidement une par une dans chaque cas déterminé et de s’appliquer à les vaincre avec une intelligente ténacité ?

Etudions-les donc, en gros du moins, ces difficultés : mais faisons auparavant une observation d’une portée générale. Je viens d’écrire que c’était pour chaque cas déterminé qu’il couvenait

  1. Voyez dans la Revue du 15 mai 1916 la Sortie de la flotte allemande, p. 393 et suivantes.