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Un soir, dans le train qui nous emmenait de Zermatt, nous avons vu, devant la gare de Saint-Nicolas, un soldat qui attendait. La capote, le pantalon garance semblaient tout neufs. Il y avait, répandu sur toute sa personne, un air de fête.

— Tu attends quelqu’un ? lui demanda le capitaine français qui se trouvait avec nous.

Il dit, le visage illuminé :

— Ma femme...

Et tandis que le capitaine lui parlait, il s’efforçait bien de répondre, mais son regard s’en allait le long du ruban de rail, guetter le train. Il l’aperçut enfin. Et l’officier se tut.

Lentement le petit train électrique acheva sa montée. Et, à l’instant où il s’arrêtait, le nôtre se remit en marche. Mais nous avons vu la silhouette de la jeune femme qui se penchait sur la plate-forme et sauta la première, et le soldat qui courait à elle, et le brusque baiser, et leurs bras enlacés soudain et qui semblaient ne plus pouvoir se détacher... Aucun de nous ne dit une parole. Et le cadre des hautes montagnes vacilla une seconde devant nos yeux troublés.

Mais il y avait des internés qui supputaient tristement la dépense du voyage et du séjour et qui se taisaient, sachant qu’une telle joie leur était interdite. Dans un village de l’Oberland, un soldat pleurait et ne mangeait guère, et gardait son visage tiré, parce qu’il était trop pauvre pour faire venir sa femme et son petit. L’hôtesse, apitoyée, offrit pour eux l’hospitalité. Quelques habitans se cotisèrent. On trouva l’argent du voyage, et de quoi donner une petite somme en plus. Et le soldat radieux, transfiguré, attend son bonheur.

Désormais, la question d’argent ne sera plus un obstacle, et tous nos internés auront droit à cette joie si nécessaire, tous, hormis ceux dont les familles sont restées dans les départemens envahis. Il est déjà bien assez dur que ceux-ci soient privés... [1].

Les médecins dirigeans cherchent à occuper les internés dans la mesure de leurs forces revenues. Une bibliothèque circulante est déjà constituée. On prévoit, pour cet hiver, des conférences. Les étudians internés seront admis dans nos universités. Le médecin en chef de l’armée, le colonel Hauser,

  1. La colonie suisse de Paris vient de créer un fonds destiné à faciliter les visites des familles d’internés. Une œuvre connexe s’est fondée à Lausanne : l’œuvre du « Revoir. »