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faire à cela ? Mais vous, s’il vous plait, finissez de pleurnicher comme vous le faites ! Des sœurs pleurnichantes, ce n’est pas ce qu’il me faut, je vous l’ai dit vingt fois ! Allons, aidez-moi au lieu de perdre votre temps !

Sans rien dire, la sœur Ruth obéit aux ordres du chirurgien. Elle enlève avec lui du lit numéro 18, pour le déposer sur le sol de la chambre, le corps inerte, mais encore chaud, du jeune lieutenant.

— Et à présent, ma sœur, amenez-moi ici le nouveau blessé !

— Dans ce même lit, monsieur le docteur ?

— Mais, tonnerre du ciel, ma sœur, l’inflammation des méninges n’est pas, que je sache, une maladie contagieuse ! Et nous devons nous estimer trop heureux de ce que le lit 18 soit devenu libre juste au bon moment ! Là ! Et puis vous lui donnerez trois cuillerées de limonade, s’il lui arrive de reprendre ses sens ! Allons, à tout à l’heure !


Objectera-t-on que cet aimable praticien n’est encore qu’un comparse ? Mais prenons maintenant les deux « héros » du roman, le commandant von Berkersburg et sa jeune femme ! Le commandant est un officier d’un superbe courage et d’une intelligence si exceptionnelle qu’il n’y a personne à qui l’auteur confie plus volontiers l’expression de ses propres idées sur les maux de la guerre. Et cependant ce type achevé du gentilhomme allemand, ayant découvert que son ami, le capitaine Adolphe, aime en secret la belle « commandante, » trouve tout naturel de l’envoyer à la mort avec tous les soldats de sa compagnie. Mieux encore : après plusieurs heures d’une résistance acharnée à l’assaut de nos troupes françaises, le capitaine fait dire au commandant qu’il ne lui reste plus qu’une demi-douzaine d’hommes, et demande s’il ne serait point temps de mettre en ligne une nouvelle compagnie, pour sauver, tout au moins, cette poignée de braves. Mais non, le commandant, furieux de voir son plus intime ami épargné par la mort, lui enjoint de sacrifier jusqu’à son dernier homme ! Pour se venger d’un rival dont il sait, d’ailleurs, qu’il s’est toujours conduit à son endroit en très loyal ami, ce chef militaire prussien, — qui nous est présenté par l’auteur comme l’un des plus nobles échantillons de sa caste, — serait prêt à faire massacrer sans nul profit son bataillon entier et tout un régiment !

Du moins s’est-il toujours montré d’une déférence et d’une courtoisie irréprochables à l’égard de sa femme, qu’il a jadis tirée de la misère, et qui pas un instant, depuis lors, n’a cessé de lui devoir la satisfaction de ses moindres désirs. Il y a bien eu la susdite aventure du bois de Troyon, où le mari a voulu se délivrer de l’homme qu’il savait amoureux de sa femme : mais, en fait, celle-ci l’a toujours