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gouvernement exclusivement voué à l’œuvre de la vie nationale, un duumvirat, — lui-même et l’amiral Coundouriotis, — devenu plus tard, par l’accession du général Danglis, un triumvirat, type classique de ces régimes improvisés. Il a lancé des proclamations, provoqué et recueilli des adhésions, signé des nominations ; et il n’a eu, du reste, aucun effort à faire pour assurer les fonctions publiques, pas même à changer les fonctionnaires. Le Comité de Défense nationale de Salonique, représenté par deux de ses membres les plus influens, l’ancien préfet Périclès Argyropoulos et le général Zymbrakakis, s’est immédiatement rallié au gouvernement de M. Venizelos, qui prenait en charge l’honneur et le salut de la nation. Par petits groupes, les officiers, et les soldats par petits paquets, sont venus mettre à leur disposition leur volonté de chasser le Bulgare et ce qu’un état-major complice de l’ennemi leur avait laissé d’armes. La marine royale imite l’exemple de l’armée royale : un à un, ses navires passent à cette révolution qui ne veut être qu’une révolution pour la patrie. Et une à une les îles, on ne peut pas dire s’insurgent, mais doucement, paisiblement, se détachent. M. Venizelos est reçu partout, à Samos, à Chio, à Mytilène, à Salonique même, comme le père et le rédempteur de son peuple.

Sur les entrefaites, à Athènes, le pseudo-ministère Calogeropoulos, mis en quarantaine par l’Entente, donne sa démission, et le roi Constantin lui cherche des successeurs, qu’il a de la peine à décider. Pour nous, il nous serait difficile de dire qu’il y ait eu en Grèce une crise ministérielle, puisque, depuis la retraite de M. Zaïmis, nous nous étions refusés à reconnaître qu’il y eût un ministère. Eh quoi ! le roi Constantin n’aurait plus de ministère ? Il en avait déjà si peu ! Mais il en aura de moins en moins, tant qu’il ne se résignera pas à donner à la crise, qui est une crise de la conscience et de l’âme nationales, la seule solution qu’elle comporte. Il n’en a pas beaucoup plus, maintenant qu’il en a un, que ces jours passés, lorsqu’il n’en avait pas. En gros, la situation, à cette heure, est celle-ci : à Athènes, un roi qui peut avoir un ministère, mais n’a pas de gouvernement ; à la Canée ou à Salonique, un gouvernement qui n’a pas encore répudié la monarchie, mais qui n’a pas de roi. S’il n’y a pas d’antagonisme irréductible, ni sur les personnes, ni sur la forme même des institutions, il semble qu’il n’y aurait qu’à faire la combinaison, pour que le pays rentre dans sa voie et suive son étoile. Un Victor-Emmanuel ne se serait pas privé d’un Cavour, à la veille des grandes épreuves, et il avait trouvé le moyen de se servir même des témérités d’un Garibaldi.