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de Quéré. Je suis allé me plaindre ! Nous ne donnerons l’assaut que quand nos obus nous précéderont pour démolir le réseau. Ce sera sans doute pour demain matin, à l’aube… Avez-vous du pain ?

Vaissette n’en avait pas ; mais il lui restait dans son sac une boite de sardines ; Quéré avait encore du chocolat. La nuit tombait. Ils dînèrent : du poisson huileux, des tablettes sucrées et pas de pain. Par moment, des blessés criaient.

— Dans cette obscurité, je ne suis pas tranquille, déclara le lieutenant : je vais rejoindre mes hommes.

— Passez une bonne nuit, lui souhaita le capitaine. Demain sera le grand jour. Je remercie Dieu de m’avoir conservé vivant pour le voir.

Vaissette n’était pas en humeur de bavarder. Ce qu’il sentait en lui, ce n’était pas l’espérance, mais une volonté de lutter jusqu’à la mort, une exaltation de sa conscience qui lui donnait la soif du sacrifice total.

Les chasseurs n’avaient pas fait grand travail ; ils avaient remué peu de terre :

— Nous ne sommes pas, dit Vaissette, un peuple de terrassiers.

Il se représenta les camps romains, leurs fossés creusés chaque soir par les légionnaires. Et il compara dans son esprit les luttes qu’avait livrées sa compagnie à celles que livraient les cohortes.

À présent, une ombre impénétrable régnait. Les chasseurs étaient épuisés. Leurs yeux battus ou fiévreux disaient leur gloire et leur misère. Ils ne se parlaient pas. La tristesse de la nuit s’insinuait en eux. Vaissette voulut leur parler pour les distraire, pour leur faire sentir sa tendresse. Il était fier de commander aux débris mutilés de cette troupe qui était entrée en campagne sous les ordres du capitaine Nicolaï.

— Tu ne m’as pas l’air gai, dit-il à Angielli.

Le chasseur ne répondit que par un geste de lassitude.

Gros expliqua :

— Ce n’est pas qu’on soit découragé, mais on a faim.

Ils avaient faim : c’était une des causes de leur abattement. L’autre était l’impression de leur échec. Certes, ils n’oubliaient pas les vides qui s’étaient faits dans leurs rangs : Servajac n’avait plus la compagnie muette de Diribarne, Bégou