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bientôt une grande réputation, et soutint la comparaison avec ses deux fameuses rivales, Mlle Beauval et Mlle Desmares. Elle avait parfois des audaces, comme le jour où, dans l’Andrienne, le chef-d’œuvre de Térence, elle s’avisa de substituer à la robe courte et bouffante de l’époque, une sorte de tunique étroite et drapée à l’antique, qui lui semblait, non sans raison, convenir mieux à son rôle. Cette innovation fit scandale.

Mimi Dancourt était dans tout l’éclat de sa beauté, de son talent et de sa renommée, lorsque, le 22 juin 1712, à l’âge de vingt-sept ans, elle épousa Samuel Boutinon, sieur des Hayes. Le duc d’Aumont, ambassadeur du Roi à Londres, ami des deux familles, négocia, dit-on, cette alliance[1]. Certaines personnes en inférèrent qu’un aussi grand seigneur devait avoir de bonnes raisons pour s’occuper ainsi de l’avenir d’une jeune comédienne. Sans doute, la vérité est-elle beaucoup plus simple. Le fiancé, Samuel Boutinon, était le cousin germain de Mimi ; sa mère, comme je l’ai dit plus haut, était Judith Dancourt, la sœur de l’auteur dramatique, né en 1660, il avait donc cinquante-deux ans au temps de son mariage, et il connaissait dès l’enfance celle à qui il donnait son nom et dont il subissait le charme.

Comme les Dancourt et les La Thorillière, les Boutinon étaient d’origine protestante. Le père de Samuel Boutinon, lieutenant général d’artillerie, mort en l’an 1667, avait élevé tous ses enfans dans la religion réformée ; et Samuel, s’étant vu refuser par le Roi la survivance promise de l’emploi paternel, avait quitté la France lors de la révocation de l’Edit de Nantes. Il vécut tout d’abord en Suisse, puis en Danemark, où il prit du service dans un régiment de dragons. Il abjura enfin, pour revenir dans sa patrie, mais il demeura sans emploi jusqu’à la fin de ses jours. C’est pendant cette période qu’il s’éprit de sa belle cousine. Le mariage célébré, tous deux s’établirent à Paris, où Mimi continua sa carrière dramatique, pour le plus grand bonheur des habitués du Théâtre-Français, dont elle était l’idole. A la mort de Dancourt en 1725, elle hérita le château de Courcelles-le-Roi, et le ménage s’y installa, tout en gardant, à cause des nécessités du métier, un appartement à Paris, rue Saint-Louis-au-Marais. Ce fut seulement en 1728, quand la santé de Samuel Boutinon des Hayes donna de

  1. Journal du duc de Luynes.