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de bienvenue à leurs collègues de Serbie, diplomates errans.

Pour noc bêtes, pour nos gens comme pour nous-mêmes, une journée de repos était nécessaire. Nous hésitons d’autant moins à la prendre que nous croyons être au bout de nos aventures. Les Autrichiens, dont, à Prizrend, on nous avait fait craindre l’avance, ne menaçaient pas encore de nous couper la route ; il n’y avait donc aucune utilité à hâter notre départ. Nous savions d’ailleurs qu’une bonne chaussée reliait Andriéwitza à Podgoritza, et nous comptions pouvoir faire rapidement ce trajet en automobile. Mais cette journée de repos fut singulièrement troublée par les informations que vint nous apporter le gouverneur d’Andriéwitza : des inondations avaient, en plusieurs endroits, gravement endommagé la route que nous avions à suivre ; tous les ponts avaient été emportés, les automobiles ne pouvaient plus circuler ; nous devions donc continuer notre voyage à cheval, et le gouverneur nous engageait à partir d’urgence. Il avait neigé la nuit précédente sur les hauteurs ; si une nouvelle chute de neige se produisait avant que nous eussions franchi le col du Trehvniak, nous risquions d’être bloqués. Sur son conseil, le prince Alexis Karageorgewitch, arrivé quelques heures avant nous, était parti précipitamment avec plusieurs groupes de réfugiés serbes ; il regrettait que l’état de fatigue de nos chevaux ne nous permît pas d’en faire autant.

Le lendemain, au réveil, un silence étrange pèse sur la petite ville ; aucun bruit ne s’entend. La neige étouffe tous les sons ; depuis plusieurs heures, elle tombe à gros flocons, et déjà elle recouvre le sol d’une couche si profonde que l’on a peine à marcher. Silencieusement, dans l’obscurité, la caravane s’organise ; chacun se demande avec inquiétude ce que sera l’étape si la neige continue ainsi. Le Trehvniak, dont il va falloir faire l’ascension, à 1 800 mètres, quelques mètres de moins que le Tchakor, sera-t-il accessible ? On part, tout blanc déjà, et lentement on gagne la route qui, en serpentant, conduira au col. Les lacets, bien dessinés, sont encore visibles ; mais bientôt, la neige, qui devient plus épaisse, les cache et recouvre les traces des caravanes qui nous précèdent. On cherche en hésitant le chemin ; les bêtes se fatiguent, tombent, et, difficilement, se remettent sur pieds. Bien des chevaux tomberont qui ne pourront plus se relever, et leurs cadavres, mêlés à des cadavres de soldats et de réfugiés, jalonneront cette étape de l’exode.