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baraquemens semblaient des joujoux d’enfans posés au bord d’une table verte.

Les deux chefs de poste vinrent à notre rencontre — très jeunes et minces, précis et brillans comme leurs galons : trois galons d’or et deux galons d’argent. Toujours les physionomies de finesse, de sérieux et d’énergie que nous avons si souvent rencontrées chez ces officiers de vingt et vingt-cinq ans. De ceux-ci la gravité paraissait plus habituelle et plus profonde encore. Elle s’explique peut-être, si l’on songe à leur vie : longues journées monotones devant l’immense horizon vide, et puis les heures de fièvre, les ardentes et subites tensions de l’esprit dans le danger du volet du combat.

Nous venions voir les avions de chasse : il y en avait dix dans le même hangar, dix bêtes surprenantes, si brèves, ramassées, métalliques comme certains insectes dont le vol a la raideur et la vibration d’une balle. Mais le corps est tout oblique, depuis la grosse tête luisante et ronde où l’on cherche presque les yeux, jusqu’à la pointe de la queue qui surmonte deux ailerons perpendiculaires. Cela tient du phalène, de la libellule ; ou plutôt on songerait à ces brillans poissons volans que l’on a vus tomber, ailes ouvertes et tremblantes, sur le pont d’un navire, si par un artifice imité du mimétisme naturel, les couleurs — toujours les mêmes : jaune et vert par en haut, bleu pâle par en bas — n’étaient celles du ciel et de la terre. Etrange similitude de ces machines que l’homme fabrique — le sous-marin comme l’aéroplane — en combinant rationnellement des moyens pour une fin, et de la forme organique que la nature élabore au cours de ses âges par ses lents procédés irrationnels. Un instant on oubliait la guerre. C’est tout le mystère de la vie qui s’évoquait devant ces créatures de la pure mécanique. Pourquoi cette ressemblance ? On dirait vraiment qu’elle aspire, cette vie, comme la volonté constructive de l’homme, à des fins qui ne sont possibles que par tel dispositif ou structure, qu’elle s’y efforce en tirant parti de tout, et d’abord du hasard, en détournant parfois un organe de sa fonction primitive pour l’appliquer à l’activité désirée. Il semble, par exemple, qu’au problème que posait le désir de voir, une seule réponse parfaite fût possible, puisque, à traversées évolutions si dissemblables, l’œil du poulpe et celui de l’homme se répètent si étrangement — puisque chez certains êtres, le