Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’incline la tête modeste et couronnée, — plus haut, des deux côtés de la rose, les grands saints dressés entre les longues colonnettes ont gardé toute leur douceur bienheureuse. Le ravage est autour d’eux, leurs corps, çà et là, sont fracassés, — mais la paix et la charité de ces immortels visages demeurent, et semblent plus angéliques et souveraines.

Aux pieds de cette gloire et de cette désolation, on se penche sur des monceaux de décombres : cendres, tisons, charbons, pierraille, scories de métal fondu, où la canne en grattant remue encore de précieuses parcelles de vitraux. Voilà bien ce qui, plus que tout, ici, parle de mort. Noirs et pulvérulens débris de ce qui fut si longtemps beauté, splendeur, forme harmonique et nombreuse, et tout entière rythmée par la plus haute des idées. Après un sinistre où des victimes ont péri, souvent, à côté d’une forme plus ou moins carbonisée, on trouve aussi de petits tas noirs qui sont de la chair fondue qui a coulé.

On quitte le parvis ; on tourne vers le côté Sud où la destruction est autre, — non d’incendie, mais de bombardement, dont les traces sont partout. A la place du merveilleux archevêché, rien que des entassemens de pierre écroulée, la ruine consciencieuse, à l’allemande. Par terre, entre les herbes envahissantes, nous cherchons et nous trouvons quelques éclats rouillés d’obus, une balle aplatie de shrapnell. Enfin, il faut poser les yeux sur ce flanc, aujourd’hui exposé, de la grande chose dont on sait la richesse et l’incroyable légèreté. Hélas ! beaucoup de blessures, beaucoup d’encoches blanches aux statues, aux gables, aux vieux contreforts. Une fine colonnette ploie, demi-rompue comme une tendre tige. Mais devant l’anéantissement de l’archevêché, le miracle, c’est que cette face subsiste, et c’est, en somme, le miracle de toute la cathédrale. Tout ce qui l’enveloppe est détruit, chaque maison comme vidée de ses entrailles. Ce serait à croire, si l’on ne savait l’histoire du bombardement, que l’Allemand a fait comme ces Peaux-Rouges qui, pour prolonger leur plaisir et la torture de leur captif, plantaient leurs flèches aussi près de lui que possible, en évitant de le viser lui-même, en comptant sur l’accident inévitable et lentement répété, pour le blesser et peu à peu le faire mourir. Probablement, si la forme morte a pu se maintenir debout sous les obus, c’est justement par sa folle