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sillon vertical entre les deux sourcils indiquant l’observateur né, puis le pincement malicieux d’une bouche agressive, on croirait voir quelque artisan sédentaire, quelque honnête horloger, dans ce bourgeois au visage arrondi, encadré de cheveux mi-courts, coupé d’une moustache en brosse, dont le menton volontaire se double d’un bourrelet de chair.

Voilà l’homme. Voilà les dehors qu’il imposait à cette âme ardente, dont le Bon Samaritain et les Disciples d’Emmaüs, qu’il avait alors sur ses chevalets, nous disent l’étendue, la puissance, la délicatesse, toutes les qualités de son émotion créatrice. Autant le débutant paraissait trop jeune, en 1628, dans son premier portrait à l’eau-forte, évoquant un éphèbe de dix-sept ans, autant le Maître parait, ici, marqué par une maturité précoce, qui étonne chez un homme de quarante-deux ans. Le voilà, cependant, tel qu’il faut l’évoquer devant son modèle, lorsqu’il entreprit sa magnifique eau-forte du Portrait de Jan Six, en 1647, et tel qu’il devait être encore quelques mois plus tard, quand il attaqua son œuvre maîtresse, cette Pièce aux Cent Florins, qui l’eût égalé aux plus grands maîtres, même s’il n’avait jamais peint.

Pourtant, malgré les qualités d’observation de cette étude véridique d’après lui-même, malgré la vie ardente de ces yeux d’artiste en action, ce portrait demeure incomplet par ce qu’il laisse ignorer des habitudes journalières de ce grand fureteur, dont « l’inlassable curiosité » et la passion du négoce firent un habitué de toutes les ventes publiques, puis un collectionneur et un marchand. Il nous manque cet aperçu du décor familier ; qu’il nous a donné dans le portrait, à l’eau-forte, de son ami Abraham Francen, dans celui de Jan Six, et qui nous serait si précieux aujourd’hui, pour le situer dans cet intérieur de la Joden-Breedestraat, dont il avait fait un musée, et surtout un musée d’estampes.

Comme Hokousaï, qui signait « le vieillard fou de dessin, » Rembrandt eût pu se dire « le graveur assoiffé d’images. » Toutes les pièces de sa maison étaient décorées de tableaux, de marbres et d’estampes. Indépendamment des trois Raphaël, des deux Palma, d’un Giorgione et de deux Bassan qui ornaient les pièces de réception du rez-de-chaussée, et du Michel-Ange de l’atelier du Maître, on y voyait quantité de sculptures antiques. Tout ce qui avait été gravé par une main d’artiste