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bien vite, hors des limites du territoire ; car les marchands s’ingénièrent à faire venir de Nancy, de Liège, d’Allemagne, de Paris et surtout de Venise et de Toscane, tout ce qui avait quelque prix et quelque valeur d’art. Les marchands de la Kalverstraat demandèrent bientôt cent florins, — mille francs de notre monnaie, — pour un Mantegna, pour la Peste de Marc-Antoine, et Rembrandt dut payer 1 400 florins une suite de quinze estampes de Lucas de Leyde.

C’est dans ce champ d’action, si bien préparé pour un graveur, que Rembrandt vit s’ouvrir, devant lui, l’ère de ses débuts dans l’eau-forte. À Leyde, il avait subi, dès 1628, l’entraînement des succès de son camarade, Jan Liévens, qui l’initia à la gravure. Il avait griffonné à la hâte, à vingt-deux ans, le Portrait de sa mère et quelques petits croquis pour répondre à la demande des acheteurs du marché-franc ; mais sans leur donner de suite et sans y attacher d’importance. Durant ses trois années d’association avec Liévens, Van Vliet et Gérard Dow, il mit très rarement sa pointe spirituelle dans les nombreuses petites pièces, signées du monogramme spécial, qui est la marque de l’atelier commun. On s’en assure en relevant, dans les pièces indiscutablement exécutées par le maître, une série de griffonnemens spéciaux, personnels à Rembrandt, qui réapparaissent au bout de sa pointe, comme ces signes graphiques qui authentifient une écriture et ne laissent aucun doute sur leur attribution[1].

Lorsque le marchand Hendrick van Uylenburg l’eut attiré dans la grande ville, Rembrandt comprit bien vite l’intérêt primordial qu’il avait à multiplier, par l’image, ses compositions les plus importantes, pour se faire apprécier des amateurs. Mais il ne voyait encore dans l’eau-forte qu’un but de publicité, et s’il exécutait entièrement leur modèle, il était rare qu’il mît la main dans ces pièces sensationnelles, par leur format et par l’effet d’ensemble, la Descente de croix, l’Ecce Homo, le Bon Samaritain, qu’il faisait exécuter par ses élèves et qu’il mettait au point, en quelques coups d’outil, avant leur impression. Ce n’est qu’à dater de 1639, à partir de sa grande pièce : la Mort de la Vierge, que Rembrandt est enfin conquis par cet art qu’il allait enrichir et transformer par des moyens à lui.

Les grandes étapes de son œuvre de graveur sont marquées

  1. Cette découverte de la pierre de touche de toutes les œuvres gravées des maîtres de l’estampe, a fait l’objet d’un travail qui paraîtra sous peu.