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être sobre et morne, selon le rite observé par Hendrickje, la mère de l’enfant. C’est la revanche de l’artiste contre les platitudes d’un culte sans faste, c’est une explosion de joie visuelle, un ruissellement de gemmes, une débauche d’orfrois, d’émaux, de tissus brochés, qui disent l’allégresse d’un homme qui aime à créer de la vie réelle, plus encore que des fictions.

Mais voici l’époque de ses embarras d’argent, où apparaissent les figures des deux Haaring, les huissiers préposés à la garde des scellés de ses meubles. On sait la cynique aventure où sombra la richesse matérielle du Maître, qui possédait, alors, une collection de plus d’un million de notre monnaie, et qu’on ruina systématiquement, en organisant la désertion des enchères. Avant de quitter le logis de la Breedestraat, où il avait vécu dix-huit années, Rembrandt eut encore assez d’humour et d’audace pour stigmatiser, à sa façon, dans une eau-forte, le triomphe insolent de son ennemi principal. Il grava cette pièce appelée à tort, le Phénix, qui représente l’apothéose d’un oison déplumé, ridicule de fatuité, juché entre deux génies claironnans, au centre d’un halo lumineux, au sommet d’un monument timbré de ses armes ; tandis qu’au bas des marches, gît le génial Icare aux reins brisés, aux ailes mortes. Cette allégorie, qui n’a jamais été expliquée, se comprend par l’analogie entre cette estampe et le sujet du fronton de la Chambre des Insolvables qui ligota Rembrandt. — Artus Quellin y avait sculpté la chute d’Icare, pour symboliser la malechance des audacieux. Ce rappel du même sujet et la date 1658 donnent la clef de cette composition vengeresse, qui est si bien conçue dans la note humoristique de Rembrandt. Mais, à dater de cet exode, le maître désabusé ne se vouera plus qu’à l’étude du nu féminin, qui est l’unique joie de la maturité des grands artistes. Sa Négresse couchée, sa Baigneuse, la Femme à la flèche sont des chefs-d’œuvre inimitables de science technique, de puissance et de délicatesse à la fois, dans une richesse de coloris qui s’égale à la joie picturale.

Les derniers biographes de Rembrandt nous ont apitoyés sur une demi-cécité qui l’aurait affligé vers la fin de sa carrière ; ils se fondaient sur l’absence d’eaux-fortes datées, postérieurement à 1661. À la vérité, cette tristesse lui fut épargnée, puisqu’on a la preuve authentique qu’au début de 1665, il a gravé l’une de ses planches les plus délicates, ce portrait d'An-