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je me sentais at home, et tout un moi nouveau, mon vrai moi, que ma patrie américaine n’eût jamais suffi à faire éclore, s’épanouissait spontanément dans la vôtre. Il y a un pays au monde où ce miracle est journalier, et il n’y en a qu’un : c’est la France. On vous arrive étranger : on vous quitte possédé de vous. Et on le demeure, quoi qu’il advienne, en se refusant même à concevoir qu’on ne l’ait pas toujours été. Mes congénères, les Germano-Américains, se plaignent qu’en pensant de la sorte je renie mon sang allemand. Tant pis pour le sang allemand, si ce n’est qu’à la condition de le renoncer qu’on peut rester fidèle à un certain nombre de choses supérieures qui parlent plus haut que tous (es sangs !

Et, levant son verre, il conclut :

— A la victoire française, gentlemen !

Ses fils crièrent d’une voix, en français :

— Vive la France !

Si tel est l’état d’esprit de l’architecte germano-américain, je ne saurais mieux caractériser celui de l’architecte américain tout court qu’en transcrivant ici une réponse typique, entendue à Saint-Louis, dans la ville dont La Salle plaça jadis le berceau sous l’invocation du plus idéaliste des rois de France et où, désormais, trône, ô sacrilège ! la dynastie des Busch, rois patentés de la bière allemande. Comme je complimentais M. S*** du courage qu’il déployait en faveur de notre cause au milieu d’une population qui lui était si foncièrement hostile, quelqu’un dans l’assistance trouva bon de faire observer qu’on n’était pas architecte sans être francophile. Mais, aussi vite, M. S*** de rétorquer :

— Francophile, monsieur ? Veuillez, s’il vous plaît, dire : francolâtre !

Cette francolàtrie ne va guère, on le devine, sans une dose pour le moins équivalente de germanophobie. En donnerai-je une preuve assez significative ? Ceci se passait en février 1916. Un avocat de Baltimore, mon ami personnel, administrateur du club le plus important de la ville, où fréquentaient surtout des gens appartenant aux professions libérales, m’avait sollicité d’y faire une conférence sur « la guerre envisagée du point de vue français. » J’aurais là, m’écrivait-il, un auditoire de choix, composé d’hommes graves, pondérés, qui m’écouteraient peut-être sans grandes démonstrations extérieures, mais, en