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comte Witte au moment de la monopolisation de l’alcool par l’Etat. Mais l’éminent homme d’Etat reconnut bientôt que, loin d’arrêter la marée montante de l’alcoolisme, le monopole la favorisait par la baisse de prix de l’alcool. Il prit peur, protesta au Conseil d’Empire et cessa de s’intéresser aux Sociétés, dont lui-même avait favorisé la formation. C’est ainsi que, peu à peu, la Narodné-Dom de Pétrograd, endettée, hypothéquée, cessa d’être un lieu de haute culture morale populaire et devint un simple établissement de plaisir.

« En revanche, il existe à Pétrograd une maison d’initiative privée, créée il y a dix-huit ans par la comtesse Panine. Là, on a véritablement travaillé à l’éducation morale du peuple et lutté contre le fléau de l’alcool. Les hommes décidés à soutenir l’idée, professeurs, instituteurs, avocats, journalistes, ont fait des conférences, puis des cours d’adultes. On a fondé des classes professionnelles, ouvert une salle à manger, une tchaïnaïa, une bibliothèque, un salon de lecture et jusqu’à un réfectoire pour les enfans pauvres. Des expositions périodiques pour l’art industriel du pays ont été organisées avec le plus grand succès. La maison de la comtesse Panine possède actuellement un observatoire astronomique et un Théâtre des idées où d’excellens artistes, dévoués à la cause populaire, prêtent gracieusement leur concours. La comtesse elle-même donne l’exemple du travail et du désintéressement. Elle dépense environ chaque année 35 000 roubles, soit, au taux normal du rouble, un peu plus de 90 00O francs. Cet établissement, le seul en réalité de Pétrograd, ne peut être comparé qu’aux Narodné-Dom de Moscou et un riche marchand sibérien nous a confié son projet d’en fonder un semblable à Tomsk (Sibérie). »


X. — L’ARMEE RUSSE TEMPERANTE

J’ai gardé pour la fin ce paragraphe qui est de tous, j’en suis sûre, celui qui ira le plus au cœur du lecteur français. Nous nous imaginons que le soldat ne peut se passer d’alcool. ; Or, le monde entier le sait aujourd’hui : l’armée russe ne boit plus d’alcool. Ne croyez pas que ce soit là une formule bonne à jeter de la poudre aux yeux des naïfs. Jamais plus parfaite concordance ne se rencontra entre renonciation d’un fait et ce fait lui-même. Depuis un an, je vis presque constamment parmi