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Non pas que désormais le poète renonce à chercher, dans la nature et la réalité, plus loin que les aimables et faciles apparences. Il y devinera des emblèmes encore ; mais non plus des signes d’effroi : des images ou des indices de pensée, images et indices qu’il a interprétés le plus parfaitement, il me semble, en quelques poèmes de ses Villages illusoires.

Depuis les Flamandes, et même depuis les Flambeaux noirs, il a modifié sa forme poétique. Premièrement, il écrivait envers réguliers. Il y a d’honnêtes sonnets, dans les Flamandes. Mais, chez nous, les Symbolistes, qui prétendaient apporter une esthétique nouvelle, créaient aussi une technique du vers : ils inventaient le vers libre. Et ils ont écrit, de cette façon, des poèmes admirables ou affreux : le vers étant libre, chacun le traite comme il veut, chacun le traite comme il peut. Verhaeren profita de l’aubaine, pour se débarrasser d’abord de maintes règles importunes, touchant la rime notamment, et l’hiatus, et la césure. Il ne craignit d’assembler des vers de toutes les dimensions, et qui ne forment pas des strophes. Mais, à la différence d’autres poètes, il scande ses vers et il les scande fortement. Ses laisses poétiques sont libres, comme les fables de La Fontaine, en ce qui concerne l’arrangement des vers plus ou moins longs, et ne sont plus libres que par la rime souvent réduite à l’assonance. Quelquefois pourtant un vers s’allonge à quatorze syllabes. Mais Verhaeren sait toujours le nombre des syllabes qu’il réunit, tandis que tels de ses émules essayent de donner à leurs vers une harmonie où le nombre des syllabes n’est quasi pour rien. Divers et hardi, son rythme, en somme, provient de l’ancienne métrique. Et c’est au rythme, beaucoup plus qu’à la sonorité verbale, qu’il demande la qualité poétique de son ouvrage. Par l’accent des rudes consonnes, et par des allitérations, et par un choix de mots qui martèlent énergiquement les temps de la phrase, il accuse le rythme, lui donne la plus insistante allure, et une vigueur impérieuse, et comme un battement que rien n’arrête, un battement de cloche une fois mise en branle.

On verra le symbolisme de Verhaeren et l’art qu’il s’est élaboré, dans les plus beaux poèmes des Villages illusoires et, par exemple, dans ce poème du Passeur d’eau… Je ne puis le citer d’un bout à l’autre. Et c’est dommage : les poèmes de Verhaeren sont ainsi faits qu’on n’en détache point aisément un passage. On n’en détache pas le « beau vers, » ou le morceau finement travaillé. Son travail n’est pas de ciselure. Ses poèmes valent surtout par l’invention et ensuite par le mouvement. Un large mouvement lyrique, très puissant, et qui