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à nouveau la Bukovine, ronge ou menace la Galicie ; la vague moscovite, enflée en tempête, revient battre la haute muraille des Carpathes ; l’offensive autrichienne des archiducs est franchement brisée par Cadorna, à sa descente du Trentin ; l’offensive du Kronprinz allemand sous Verdun n’avance plus et commence à fléchir ; l’offensive franco-anglaise sur la Somme se dessine. Une à une, les colonies allemandes, comme des branches qui cassent, se sont détachées ou ont été arrachées du tronc : « la carte de guerre, » dès que c’est une carte complète, devient de moins en moins avantageuse. L’Allemagne, économiquement, physiologiquement, l’Allemagne, grande mangeuse, sent la gêne, et sans doute plus, et peut-être bien pis. Aussi le chancelier, à la fin de juillet 1916, ne craint-il pas de paraître beaucoup plus coulant. Il se fait insinuant, pressant, caressant presque. Il interroge notre gouvernement. Le gouvernement français a pense-t-il sérieusement pouvoir atteindre son idéal dans une guerre d’extermination ? » Ce sont les heures grises et mélancoliques où le Kronprinz, attendri, pleure dans les journaux américains. La Roumanie ne s’est pas encore déclarée, mais on prévoit et on redoute son intervention. Deux mois durant, septembre et octobre, le chancelier de l’Empire ne dit plus rien, du moins ne dit plus rien de la paix. Il ne fait que vitupérer, ce qui n’est pas dans sa fonction, ni dans son caractère, ni dans ses habitudes. En novembre, les passages des Alpes transylvaines sont forcés par Falkenhayn ; la Valachie est envahie ; l’armée roumaine se replie de ligne en ligne, lentement au début, puis précipitamment ; au commencement de décembre, Bucarest est prise. M. de Bethmann-Hollweg recouvre la voix ; et cette voix, aussitôt grossie, amplifiée, multipliée par les mille voix de la tribune et de la presse, est tout un orchestre.

Dans cette musique infernale, trois parties distinctes. Au dedans, le tonnerre ; c’est le vieux dieu allemand, c’est Wotan, ce sont tous les héros étincelans, éclatans et souvent discordans du Walhalla wagnérien, qui, chacun sur son instrument, jouent l’air national : l’Allemagne au-dessus de tout. À l’étranger, chez les belligérans, c’est la Sibylle qui parle sans parler, propose des énigmes, donne à deviner des oracles ambigus, et, par tradition, tend des pièges ; chez les neutres, c’est la Sirène, qui se fait engageante, offre son buste et cache sa croupe hérissée d’arêtes. On a procédé selon le protocole. Chaque matin, à onze heures. M. Zimmermann, qui est l’homme aimable et spirituel du gouvernement impérial, a coutume de réunir les directeurs des journaux de la capitale et les représentans à Berlin des