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UN ÉTÉ Á SALONIQUE
AVRIL-SEPTEMBRE 1916


Avril 1916. En mer.

Cinq heures du matin. Les clairons du bord rappellent aux postes d’appareillage. Les pulsations de la machine, cœur profond du bâtiment, font vibrer les cloisons de la cabine où je me suis endormie, hier soir, pendant que le mistral soufflait en tempête. Je rabats les volets des hublots. Dans l’aube argentée, les crêtes du Faron se teignent de rose, et la ville, tassée entre la montagne et la mer, semble dormir au long du quai. Sorti du bassin, le grand paquebot, militarisé pour la guerre, traverse la rade, parmi les cuirassés et les croiseurs que fleurissent de couleurs mobiles les pavillons légers des signaux. Bientôt, nous doublons Saint-Mandrier. Je regarde disparaître Toulon, ses faubourgs, ses arsenaux, la Mitre, le cap Brun, pays du parfum et de la lumière, si riche d’heureux souvenirs. Cette terre qui va s’effacer derrière nous, c’est l’ultime pointe de la France, et, malgré la joie du départ, je sens un petit serrement de cœur, celui qu’on éprouve en quittant, pour un temps indéterminé, un être cher qu’un danger menace…

Depuis tant de jours, à tous les actes de notre existence, à toutes les émotions de nos âmes, une pensée unique s’associe : Verdun ! Les canons qui tonnent au bord de la Meuse ont un écho dans ce clair matin provençal. Qui pourrait oublier ? Qui