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sont rassemblés pour la quotidienne distribution de quinine.

C’est la première fois qu’ils reçoivent la visite d’une compatriote, et c’est aussi la première fois que j’entre dans l’atmosphère spéciale de cette vie militaire, qui emprunte à l’exil même quelque chose de familier, presque de familial. L’affection des soldats pour les chefs se manifeste plus librement qu’en France, et la sympathie de tous se révèle à moi, franche et naïve. Ils ne se sont pas trompés sur mes sentimens ; ils ont bien compris que je n’étais pas venue à eux par caprice ou par curiosité, mais que, si loin de chez nous, je leur suis toute fraternelle, et qu’il y a, dans mon amitié, le reflet et la douceur des tendresses qui les attendent, là-bas, à leur foyer.

Nous fûmes amis tout de suite, et l’on causa, tout en continuant la visite. Il n’était pas fâché, le « cuistot, » natif de Montrouge, d’entendre quelques nouvelles du bon vieux Lion de Belfort et de me montrer sa cuisine, ingénieusement disposée, et de me faire goûter la soupe et le ragoût appétissant. Le suffrage féminin, en fait de cuisine, n’a-t-il pas un prix tout particulier ? Et le brave garçon qui exhibait avec tant de fierté les fétiches de l’ambulance, deux chevreaux noirs et barbus comme le dieu Pan, ne savait-il pas que les femmes estiment chez l’homme cette bonté que la guerre ne détruit pas, cette bonté qui va aux faibles, aux innocens, aux « frères inférieurs » et même aux choses inanimées ? Chevreaux serbes, achetés à Guevguéli et destinés à la broche, vous fûtes les compagnons de la terrible retraite, la gaîté des mauvais jours, les petits clowns à quatre pattes dont les cabrioles chassaient le sombre « cafard. » La broche ne vous aura pas ! Promus à la dignité de chevreaux savans, vous partagerez le destin de votre maître, et vous serez les porte-bonheur des ambulanciers alpins !

Et vous, non plus, jardiniers bénévoles qui vîntes m’offrir un petit bouquet aux trois couleurs, je ne vous oublierai pas. J’ai mangé vos radis roses, et vos fleurs parent encore ma chambre. Fanées, elles gardent leur charme, à l’heure où j’écris, et parmi la laideur des meubles de camelote, dans le vacarme de Babel qui monte de la rue, elles me disent tout bas un refrain de ronde ou de villanelle, et c’est en français qu’elles sentent bon.

Il paraît que dans un journal parisien, un monsieur qui a très mauvais caractère, vilipende les « deux cent mille