Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/352

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par du sable aux vives nuances, des cailloux de couleur, des fragmens de brique, du gazon et des saxifrages. Ils ne craignent pas l’ornementation symbolique et j’admire qu’ils aient su éviter la mignardise et l’emphase. A l’entrée d’un certain camp, tout Salonique peut contempler une superbe croix de la Légion d’honneur et une magnifique « citadelle de Carcassonne » portant celle inscription : « Vive Carcassonne pour le chef qu’elle nous a donné ! » Au camp de l’Aviation, une bande de gazon déroule en lettres de fleurs le vers célèbre de Victor Hugo :


Gloire à notre France éternelle !


Ailleurs, on voit l’aigle allemand percé de flèches qui sont les drapeaux des Alliés : « Patience ! » — dit l’inscription lapidaire, — « nous le plumerons ! »

Eux aussi, mes jardiniers de l’ambulance, ils ont su tracer, en cailloux colorés, sur un talus, le nom du général en chef, avec une gigantesque majuscule et un paraphe somptueux. Mais ce travail de patience ne vaut pas, pour moi, leur parterre de fleurs et de légumes, — jardin de soldat pareil à un jardin de curé.


Un coron flamand sous une lumière orientale. Cette impression que j’ai eue, d’abord, se précise à mesure que nous approchons de Lembet. Des maisons sans étage, toutes pareilles, alignées avec une régularité désolante, des femmes sur les portes, de la marmaille plein la rue, une misère décevante pour l’amateur de pittoresque qui ne craint pas les beaux haillons, et la pouillerie à la manière espagnole. Murillo et Delacroix seraient déçus. Le soleil, ici, ne dore pas les guenilles.

C’est que les guenilles des réfugiés grecs ressemblent à toutes celles que tous les réfugiés promènent, sur les routes dévastées d’Europe. Les femmes smyrniotes ou thraces qui ont fui leurs villages portent les vêtemens que la charité officielle ou privée leur a donnés, sans souci d’esthétique. Elles composent une bien pauvre foule, en jupons et camisoles d’indienne déteinte, et ne conservent de leurs anciens costumes que le petit voile blanc ou brun, imprimé de grosses fleurs, qu’elles nouent sous leur menton. Nu-pieds, elles surveillent des enfans