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tarderait guère à être entièrement rassuré sur le sort de sa protégée. De fait, sa résolution était prise ; il s’exécuta de bonne grâce.

Le lendemain 5 octobre, dans le cours de la matinée, il entrait chez Thérèse : « Levez-vous, disait-il, et venez avec votre mère où je vais vous conduire. » Elle obéit, monta dans le carrosse. « Où allons-nous ? » demanda-t-elle en chemin. — « Nous marier, » lui répondit-il. Sur quoi, larmes, évanouissement, puis effusions de joie et de reconnaissance[1]. Mimi Dancourt renchérit sur sa fille d’attendrissement et de gentillesse. On arriva bientôt chez le notaire Fortier, qui n’habitait pas loin du fermier général, au coin de la rue des Petits-Champs et de la rue de Richelieu. Le notaire, peu d’instans après, donnait lecture de l’acte préparé, acte très simple et tenant en fort peu de lignes[2]. Entre les deux époux, point de communauté ; mais, « pour l’amitié que les dits sieur et demoiselle ont dit se porter, et voulant s’en donner des marques, » ils se faisaient donation réciproque, en toute propriété, de tous acquêts, mobiliers et immobiliers, appartenant lors du décès « au premier mourant d’eux, pourvu qu’il n’y ait aucun enfant vivant du dit mariage. » Cette clause entraînera, par la suite, certaines contestations. Sur la célébration du mariage religieux, il n’est point de donnée précise. On incline à penser qu’il eut lieu vers la fin d’octobre, en l’église Saint-Eustache, paroisse des deux conjoints. La mariée avait vingt-quatre ans, le marié quarante-quatre.

La nouvelle, semble-t-il, ne fut pas mal accueillie du public. Outre qu’elle était escomptée, que bien des gens s’attendaient au mariage, on pouvait alléguer, qu’à proprement parler, malgré la différence de position sociale, il n’y avait pas mésalliance.

Au point de vue de la naissance, Thérèse ne le cédait en rien à son mari ; les Dancourt et les Boutinon, comme on l’a fait justement observer[3], valaient bien les Le Riche. De plus, le fermier général entrait, par cette union, dans une sorte d’intimité avec Samuel Bernard[4], le roi de la finance du

  1. C’est la version du manuscrit possédé et analysé par feu le baron Pichon. Collection de l’auteur.
  2. Cucuel, loc. cit. La minute du contrat existe encore chez le successeur du notaire Fortier.
  3. Cucuel, passim.
  4. Le « chevalier Bernard » mourut dix-huit mois plus tard, en janvier 1739.