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A Mme Joseph Ollé-Laprune.

En campagne, ce 22 février 1915.

Devant une douleur comme la vôtre, toute parole serait superflue ; et l’on ne devrait que vous serrer la main dans un silence respectueux. Pourtant, ceux qui ont aimé et admiré votre Joseph, ceux qui s’étaient si fraternellement réjouis du plein bonheur qu’il avait trouvé par vous, ne peuvent rester silencieux. Ils ont besoin de pleurer avec vous et de s’unir à vous dans un sentiment de fierté. Ce qu’il y a d’émouvant et de magnifique dans cette mort, c’est qu’elle a été acceptée depuis des mois avec le plus tranquille des courages, et qu’il semblait ne tant vous aimer, ne tant aimer sa mère et sa sœur que pour pouvoir sacrifier davantage au devoir qui le réclamait, montrant ainsi, dans un dernier geste de chevalier chrétien, qu’il est des cas où, pour achever la beauté d’une vie, il faut savoir la perdre. — Vous voilà donc seule après quelques mois d’une très haute félicité ; et bientôt, aux yeux des indifférens, il semblera peut-être qu’un rapide nuage de joie et de douleur a passé sur votre jeunesse. Mais vous, qui savez toutes les richesses de ce héros, vous savez aussi que, de ce bonheur si bref, il vous reste des pensées et des souvenirs pour illuminer toute une vie ; et, dans votre détresse même, vous vous sentez une privilégiée. De vous dire que vous avez été l’élue de cette âme exigeante, que vous avez fraternisé avec elle dans une intimité parfaite, que vous avez partagé les rêves de cette noble intelligence, que vous avez mis dans ce cœur ardent de la douceur et de la joie, et qu’il a trouvé sans doute dans votre amour l’élan suprême pour le suprême sacrifice, — tout cela doit vous aider, — et vous pouvez vivre silencieusement au dedans de vous avec tous vos trésors. Selon le mot cher à son père, il est allé vers Dieu avec toute son âme. Qu’il vous rende désormais présent et consolateur ce Dieu très bon auquel il s’est donné. Je ne vous dis rien de ma peine : elle est profonde, elle sera durable ; mais je veux l’oublier devant la vôtre, et je reste près de vous pour admirer, souffrir et prier.