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brèves et indifférentes. Je ne fais grief à personne. Pour ceux surtout qui font campagne, il faut que la mort devienne une chose, je ne dis pas insignifiante, mais qui ne laisse près d’elle ni indignation, ni frayeur, ni étonnement. Heureuse es-tu, dans ton immense douleur, d’avoir eu le spectacle d’une mort auguste, sereine, apaisée, qui semblait n’être qu’un déliement et une envolée. Il en est tant de jeunes veuves aujourd’hui, qui ne peuvent penser à la fin de l’ami aimé sans un frisson d’épouvante et de révolte : morts brutales, rapides ou lentes, qui se sont achevées dans la boue, dans le sang, dans les piétinemens impies, morts à la centaine, qui sont passées inaperçues, sans respect comme sans pitié, et qui ont à peine arrêté un instant ceux qui, plus fortunés, avaient encore échappé ! Pour moi, quand je songe à ces morts, j’en viens presque à envier ton cher François, qui a eu une fin si noble, si haute, à la fois humaine et divine, et qui a pu laisser à ceux qui restaient, avec tant de tristesse, tant de douceur. Comme je voudrais pouvoir aussi, quand mon heure viendra, finir comme il a fini, avec cette pleine conscience et ce plein abandon, avec cette bonté exquise pour ceux qu’il faudra quitter, avec cet espoir paisible en Dieu et ce pressentiment de la félicité éternelle ! Cette belle mort, à laquelle je ne puis songer sans me sentir une grande paix et un grand désir de mieux, a été la récompense d’une belle vie, d’une vie toute simple, toute droite, si riche pourtant en délicatesse de cœur, en toutes ces qualités intimes qui font d’une âme un trésor. Cher François, depuis ces premiers jours de juillet qui ont été pour moi un tel bouleversement, ma vie a été si étrange, si imprévue, que maintenant encore, quand j’essaie de me représenter ce que sera la reprise de la vie normale, je ne puis croire qu’il ne sera plus là pour y mettre son charme et sa bonté. Que de fois, toi-même, après douze mois écoulés, tu ne dois pas parvenir à réaliser cette définitive solitude de cœur ! Comme je te plains et comme je comprends tes heures de détresse ! J’espère que, dans tes deux chers enfans, tu auras la joie, année par année, de voir revivre quelque chose de l’âme exquise de leur père. Mais ce sera une joie d’un autre ordre ; et, quelles que soient les tendresses qui puissent t’entourer, tu resteras seule dans certains souvenirs. Plus que jamais il faut croire au Dieu très bon et mystérieux vers qui va tout ce qui est noble et beau, et qui ne prend que pour mieux rendre. Il