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admirablement à sa place. Sa modestie, ses habitudes d’effacement volontaire ne lui permirent pas d’accepter.

Etant donné les divergences profondes qui le séparaient de M. Warren, il n’en était que plus intéressant de le voir abonder dans le même sens que lui, quoique sur un ton plus clément :

— Nos hommes d’Etat, disait-il, sont, j’en suis sûr, pleins de bon vouloir. Mais ils ont un tort grave qu’ils partagent avec trop d’Américains : ils ignorent le Vieux monde. L’univers commence et finit pour eux à l’Amérique. Non qu’ils n’aient beaucoup voyagé. Seulement, sauf de rares exceptions, ils s’y sont pris à la manière de M. Bryan, notre ex-ministre des Affaires étrangères, qui se targuait, un jour, devant moi d’en savoir assez sur les nations du globe, parce qu’il en avait fait le tour, accompagné d’un interprète. Les fautes qu’on peut reprocher au Président Wilson sont principalement imputables, j’en suis convaincu, à ce que ce grand solitaire, déjà trop enclin, par nature, à s’emmurer dans sa vision personnelle des êtres et des choses, qu’il n’a guère étudiés que dans les livres, manque, dans son entourage, d’un conseiller capable de le renseigner avec quelque compétence sur les réalités qui lui échappent. Il eût été à souhaiter que le colonel House fût préparé pour être ce conseiller. Nul ne possède comme lui l’oreille du Président qui, tout réfractaire qu’il soit à la consultation d’autrui, a dans son avis une confiance sans restriction, méritée, d’ailleurs, sinon par une rare ouverture d’intelligence, du moins par une haute moralité et un désintéressement à toute épreuve. Mais j’avoue que, si sa douceur, sa modération, son pacifisme invétéré en font un merveilleux instrument de concorde parmi les membres, souvent tiraillés, du Cabinet, où il joue un peu le rôle d’une Eminence grise, il n’a, en revanche, rien de l’envergure d’un Mentor politique, surtout dans le domaine de nos relations avec le dehors, et je me demande, comme M. Warren, quel genre de lumières, propres à éclairer la religion du Président, a bien pu rapporter d’une mission, accomplie dans les conditions qu’on vous a décrites, ce sage du Texas fourvoyé à l’aveuglette dans l’immense bourrasque européenne. Faut-il, cependant, s’en désoler autant que le voudrait M. Warren ? Je ne le pense pas. Après comme avant la tournée platonique du colonel House, l’Amérique officielle continuera de proclamer une neutralité