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sent l’âme si légère vis-à-vis de son amoureux de la veille que nous la voyons se jeter, quasiment, dans les bras d’un jeune officier blessé, aussitôt qu’un hasard lui a permis de le rencontrer. Le blessé, et le père de Dorette, et le chirurgien de l’hôpital s’imaginent, à vrai dire, que c’est la pitié qui inspire sa conduite : mais l’auteur prend bien soin de nous détromper encore là-dessus. « Comme il doit être malade, — se disait Dorette, — mais aussi comme il doit être joli, lorsque son visage se trouve dépouillé de ces traces présentes de la maladie ! Et quelle voix virile et douce tout ensemble ! » Depuis lors, la jeune fille ne va plus cesser d’avoir devant les yeux « l’image du pauvre et joli officier blessé, » — jusqu’au jour où elle sentira redoubler sa compassion patriotique, » en apprenant que le « joli blessé » est, avec cela, un « comte de bon aloi et disposant d’un revenu de plus de cent mille marks ! »

C’est depuis lors que, décidément, l’exemplaire Dorette s’efforcera de dériver sur Mme von Duffel les attentions galantes dont s’obstine à la poursuivre le vieux commandant atteint d’un lumbago. Mais jusqu’à ce moment, il faut bien l’avouer, la jeune fille n’était pas sans prendre plaisir aux complimens du vieil officier. Et comme, au sortir d’une « soirée de guerre, » son amie Loni la félicitait, avec une nuance d’aigreur, d’un long tête-à-tête qu’elle venait d’avoir avec son « soupirant : »

— Écoute-moi bien, Loni ! — lui a signifié la future comtesse, — On a beau avoir des amies : chacun, en ce monde, a plus d’affection pour soi-même que pour personne autre. Et, donc, laisse-moi te le déclarer une fois pour toutes : que si jamais il t’arrive de faire mention de mes entretiens avec monsieur le commandant, aussitôt je raconterai tout ce que tu m’as confié de tes rapports, à toi, avec ton ténor !


Veut-on voir maintenant, à côté de ces figures principales du roman, quelques profils de « comparses » chargés semblablement par l’auteur de nous révéler ce qu’étaient les mœurs et l’existence familière d’une ville allemande pendant cette première année de la guerre où n’avait pas encore commencé à sévir l’absorbante hantise des « cartes » de pain et de pommes de terre ? Voici d’abord la cuisinière du vieux commandant, Frau Schnappauf, celle qui rêverait de se voir représentée, sur l’écran de son « cinéma » ordinaire, en compagnie de son cher maréchal von Hindenburg ! C’est une « lourde personne de quarante ans, avec un visage énergique et résolu, mais propre