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et la société des savans et des artistes, tantôt dans les exercices violens, tantôt dans une crapuleuse débauche ; il trouva, à cette dernière étape, la mort ignominieuse de Mayerling. Avertie la première du drame, l’Impératrice eut la force d’âme de dompter sa douleur pour aller elle-même apporter au père la funèbre nouvelle, conséquence ultime d’une éducation qu’elle avait déplorée sans pouvoir la modifier. Ce jour-là Elisabeth fut grande et l’histoire voudra croire que, parmi les larmes de François-Joseph, quelques-unes furent données au remords. Une telle catastrophe rapprocha le couple impérial ; en apprenant le crime stupide de Genève, le vieil empereur, à qui les malheurs n’avaient pas été épargnés, put dire avec sincérité : « C’est le jour le plus douloureux de ma vie. »

Ainsi apparaît la personnalité humaine de François-Joseph ; elle n’est ni grande ni sympathique : dureté, égoïsme, orgueil et, au fond, faiblesse. Mais à peine peut-on dire que l’on saisisse la vérité profonde de sa nature, même à ces momens tragiques où le cœur se montre à nu, tant le personnage s’est substitué à l’homme. A quoi bon chercher, d’ailleurs ; François-Joseph est bien moins un individu que le représentant d’une lignée, l’héritier d’une dynastie, le chef d’une Maison. Il est un anneau dans une chaîne, le continuateur d’une tradition, le gardien d’un dépôt dont il n’est comptable qu’à Dieu, à ses ancêtres et à ses héritiers.

Dès qu’on se place à ce point de vue, tout s’éclaire dans son caractère, beaucoup de choses s’expliquent dans sa politique. La monarchie des Habsbourg[1], c’est d’abord une dynastie, une Maison ; il faut remonter, pour pénétrer le plein sens de ces mots, jusqu’aux conceptions féodales. Le chef de la monarchie des Habsbourg (le terme d’Autriche-Hongrie est récent et d’ailleurs impropre et discuté) règne par droit d’héritage sur des royaumes et des fiefs divers ; la liste protocolaire de ses titres et souverainetés tient une demi-page du « Gotha. » Les peuples sont faits pour obéir au souverain, non le souverain pour faire le bonheur des peuples. Envers ses peuples, le souverain n’a pas

  1. Tel est le titre du très remarquable ouvrage de M. Henry Wickham Steed, traduction de M. Finnin Roz (A. Colin, 1914). Il existe aussi, d’un Français, un livre de premier ordre sur l’Autriche-Hongrie : Le compromis austro-hongrois de 1867, par M. Louis Eisenmann. (Société de Librairie et d’édition, 1904, un volume in-8, malheureusement introuvable.)