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célébrer l’office. Cette guerre triste et dure, commencée dans l’angoisse, poursuivie dans l’épreuve, la parole du bon prêtre nous donne l’assurance qu’elle finira dans la joie. Et la confiance renaît au cœur des hommes.

« Pour le moment, écrit l’un d’eux a sa sœur[1], je ne suis pas malheureux… Un de ces jours, nous devons aller au repos en France, à Dunkerque, pour nous reformer, car, je t’assure, il ne reste plus guère des anciens au régiment. Il faudrait avoir un tempérament de cheval pour résister quand nous sommes aux tranchées. Personne ne voudrait le croire comme nous sommes malheureux. Figure-toi qu’il tombe de l’eau tous les jours, et l’on est dans la boue au ras des genoux, sans pouvoir bouger, car, si l’on fait un mouvement, on gêne son camarade. Alors, pense qu’il faut rester quarante-huit heures comme cela ! Pas d’abri pour se couvrir. Mais vois-tu, aujourd’hui, Jour de l’an, toute notre misère est oubliée, nous sommes tous contens, surtout de savoir que l’on rentre en France. Je t’assure que l’on a bien gagné un peu de repos, car il n’y a pas de régiment qui a trinqué comme nous, les chasseurs à pied et les tirailleurs algériens. Sur 12 000 marins que l’on était entre les relèves qu’il y a eu, nous sommes 31 800 en tout. »

À peine si quelque exagération est sensible dans ces derniers chiffres. Une semaine encore s’écoula. Enfin, le 8 janvier, la brigade partit en autobus, comme elle était venue, dans la direction de Saint-Pol et de Fort-Mardyck. Le bruit courait que les hommes, suivant l’amusante expression marine, allaient « toucher » un drapeau[2] ; on disait même que c’était le Président de la République en personne qui le leur remettrait, mais, jusqu’à la veille de la cérémonie, on ne savait ni où, ni quand elle se tiendrait. Elle eut lieu le 11, à Saint-Pol, sur le terre-plein du champ d’aviation.

Dès sept heures du matin, la brigade était rassemblée en lignes de colonne de compagnie, les deux régimens se faisant face, la compagnie de mitrailleuses, plus les cinq mitrailleuses ennemies conquises à Steenstraete, formant le côté du rectangle opposé à la route par laquelle on attendait le cortège présidentiel. Les baïonnettes « brillaient au soleil. » À neuf heures « sonne

  1. Lettre du fusilier A…, ("janvier 1915.
  2. « Il est question que nous devons toucher un drapeau. » (Journal du fusilier Maurice Oury.) Ce drapeau était offert à la brigade par la ville de Lorient.