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Dalhenheim sont détenus pour la même cause. Ainsi l’Église constitutionnelle est à la fois disgraciée et obligatoire, et redevient tout à coup privilégiée pour devenir instrument de persécution.

Je n’ose plus écrire le mot de privilège, tant ce mot contraste avec l’état de servitude où les malheureux prêtres sont réduits ! Dans leur petite ville, dans leur paroisse rurale, ils guettent les nouvelles. Voici, en septembre 1793, la loi des suspects : ne sont-ils pas englobés eux-mêmes dans la vague et terrible menace ? Voici qu’on annonce, quelques jours plus tard, le procès des Girondins. Mais les Girondins, ce sont des modérés comme eux, et parmi ces proscrits pour qui déjà la guillotine s’apprête, il y a l’un des chefs de l’Eglise constitutionnelle, Fauchet, évêque du Calvados. Vers le même temps, ils lisent le rapport de Saint-Just sur le gouvernement révolutionnaire : et cette parole âpre, péremptoire, froidement résolue, les glace d’effroi. Sûrement ils ont salué, embrassé, acclamé la Révolution. Mais jusqu’où faudra-t-il la suivre ? Que sont devenus les premiers patrons de la Constitution civile ? En prison les anciens constituans ! En prison, Bailly, Barnave, Duport-Dutertre ! Parmi les plus âgés, beaucoup remontent à travers le courant de leurs souvenirs ; ils repassent les années de la royauté ; ils se remémorent le rituel auguste et antique qui confondait dans les mêmes prières la religion et la monarchie. Ont-ils gagné ? Ont-ils perdu ? Regrets, craintes, remords, tout, s’agite en leur âme désemparée ; mais ils contiennent leurs paroles, ils surveillent leurs silences mêmes, sentant que l’heure est proche où la délation saura découvrir jusqu’aux pensées.

Sur quelques prélats assermentés les grands coups commencent à frapper. L’un des plus considérables, Lecoz, évêque d’Ille-et-Vilaine est, depuis le 18 septembre, interné dans s& demeure. Son double crime est d’avoir condamné le mariage des prêtres et d’avoir à Rennes osé soutenir sans trembler le regard de Carrier. Il n’obtient de sortir que pour dire sa messe ; comme il veut procéder à une ordination, il est réduit à la faire dans sa chambre, secrètement, à l’exacte imitation des prélats insermentés qui ont jadis imposé les mains à quelques disciples avant de partir pour l’exil. Cependant, le 15 octobre, il est transféré au Mont-Saint-Michel. Il franchit la première étape