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de compte, la traduction financière des opérations économiques. Toutes les pièces d’or du monde et toutes les banknotes ne feront pas à elles seules un canon ni un obus de plus. Ce n’est que de la masse de ses biens et services qu’un peuple tire en paix de quoi vivre, et en guerre de quoi faire la guerre. Ils ne peuvent d’ailleurs servir tous. Terres, maisons, machines, les capitaux fixes ne sont pas mobilisables. Les capitaux circulans (cheptels, stocks, etc.) seront tels en partie, sauf abus qui épuiserait le pays ; tels seront aussi les capitaux possédés ou empruntés à l’étranger, dans une certaine limite. Cela dit, il reste, — c’est le principal, — les « produits » et les « services » nés de la nation et à la disposition de la nation, soit ce qui constitue le revenu national. En temps de paix, de ce revenu, produits et services, la nation consomme la majeure partie et épargne le surplus qu’elle capitalise. En temps de guerre, comment pourvoira-t-elle aux énormes besoins de la guerre, lesquels dépassent la moitié du revenu national ? L’épargne habituelle n’y suffira pas, tant s’en faut ; il faudra que la consommation normale se réduise, il faudra que la « production » du pays, que les « services » de ses enfans changent d’objectif et s’appliquent à satisfaire les exigences de la guerre avant celles de la vie courante ; il faudra, en d’autres termes, que la nation épargne davantage et offre à la guerre cette épargne accrue. Seule l’épargne, qui sans doute n’est pas en soi créatrice de produits ou services, mais dont le rôle consistera à les détourner de la consommation ordinaire et à les faire servir aux combattans, seule l’épargne est à même d’alimenter la guerre. Développer l’épargne, voilà donc le nœud du problème de la guerre au point de vue économique. Le nerf de la guerre n’est pas l’argent, mais l’épargne, l’économie publique et privée.

Cette vérité économique, si claire quand on regarde la réalité des choses sous leur mirage financier, cette vérité de tous les pays, de toutes les guerres, une guerre courte ne l’eût peut-être pas mise en relief comme le fait une guerre de longue durée. Je ne suis même pas très sûr qu’en France, après deux ans passés, elle soit bien généralement comprise et acceptée-Il en va autrement chez les Anglais qui, plus familiers avec l’ordre des faits économiques, plus ouverts aux leçons de la dismal science, ont vite reconnu la situation et tâché de s’y adapter.

Ce n’a pas été toutefois dès le début de la guerre. Le