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presque par tout le corps. » Peu d’années après, enfant de chœur à la collégiale de Saint-Denis, les leçons du maître « le plus barbare qui fut jamais, » ne lui furent guère moins cruelles : « Il nous faisait chanter chacun à notre tour et, à la moindre faute, il assommait de sang-froid le plus jeune comme le plus âgé. Il inventait des tortures dont lui seul pouvait s’amuser. Tantôt il nous mettait à genoux sur un gros bâton court et rond, et au plus léger mouvement nous faisions la culbute. Je l’ai vu affubler la tête d’un enfant de six ans d’une vieille et énorme perruque, l’accrocher en cet état contre la muraille, à plusieurs pieds de terre, et là il le forçait à coups de verges de chanter sa musique, qu’il tenait d’une main, et de battre la mesure de l’autre. Ce pauvre enfant, quoique très joli de figure, ressemblait à une chauve-souris clouée contre un mur et perçant l’air de ses cris… De pareilles scènes, qui étaient journalières, nous faisaient tous frémir ; mais ce que nous redoutions le plus, c’était de le voir terrasser le malheureux sous ses coups redoublés, car alors nous étions sûrs de le voir s’emparer d’une seconde, d’une troisième, d’une quatrième victime, coupables ou non, qui devenaient tour à tour la proie de sa férocité. C’était là sa manie. Il croyait nous consoler l’un par l’autre en nous rendant tous malheureux. Et lorsqu’il n’entendait plus que soupirs et sanglots, il croyait avoir bien rempli ses devoirs. »

Malgré tout, l’instinct et l’amour de la musique fut le plus fort chez l’écolier-martyr. Bientôt, pour son bonheur, il changea de maître. Ses débuts, au chœur de Saint-Denis, n’en furent pas plus heureux. Sa timidité le perdit. Il dut quitter l’église. Le théâtre, un moment, l’en consola. Une troupe de chanteurs italiens s’était établie à Liège. Elle y représentait les opéras de Pergolèse et de Buranello. Le père de Grétry pria le directeur, nommé Resta, d’accorder au petit garçon ses entrées à l’orchestre : « Pendant un an, j’assistai à toutes les représentations, souvent même aux répétitions. C’est là où je pris un goût passionné pour la musique. »

Son père encore, ayant suivi ses progrès, souhaita pour l’enfant de chœur éconduit une revanche honorable dont il répondait lui-même. Le maître de chapelle de Saint-Denis, cédant aux instances paternelles, finit par permettre à Grétry de se faire entendre un dimanche. « Le motif que je chantai était un air italien, traduit en latin, sur ces paroles à la Vierge :