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tragédienne. A la justesse, à la vérité de la déclamation, il aurait tout sacrifié ; tout, y compris, — mais les a-t-il connus ? — les chefs-d’œuvre de la musique pure. C’est ainsi qu’il n’accordait qu’un rang secondaire à la musique allemande. « Les Allemands, écrit-il, ont inventé la vraie musique instrumentale ; ils ont posé les limites de toutes les ressources des instrumens à vent ( ? ). Enfin, ils ont appris au reste de l’Europe que l’appui d’une harmonie mâle, riche et nombreuse, donne une célébrité qui marche immédiatement après celle que donne le génie créateur qui peint la nature, c’est-à-dire la déclamation notée et métamorphosée en chant délicieux. »

Notons nous-même ces derniers mots. Si Grétry, quelquefois en théorie, paraît les oublier, il s’en souvient dans la pratique, et sa musique, belle sans doute parce qu’elle déclame, l’est aussi parce qu’elle chante, et délicieusement.

Mais encore une fois, c’est à la parole, à la déclamation, qu’il revient sans cesse, comme à la base et au sommet de son art. Il rapporte l’effet extraordinaire que produisit, à la première représentation d’un de ses ouvrages, (La fausse Magie), la musique de certain duo : « musique parlante, où le chant est si près de la déclamation, qu’on le confond avec la parole. » Analysant la musique d’un morceau de Lucile, il en donne un commentaire qu’on pourrait presque appeler une traduction mot à mot, quand ce n’est pas syllabe par syllabe. Deux airs de l’Ami de la Maison lui servent à nous démontrer que les accens de la parole peuvent être copiés par les accens de la gamme. Oui, tous les accens, et de toutes les paroles, sans en excepter les plus familières. Il n’est pas jusqu’à : « bonjour, monsieur, » ou « bonjour, mon cher, » dont Grétry ne s’offre à marquer, suivant le rang du personnage, de nombreuses et diverses intonations. On verrait alors, ajoute-t-il, « combien l’amour-propre est un puissant maître de musique et comme la gamme change lorsque l’homme en place cesse d’y être.


Ainsi nous passons de l’ordre de la déclamation lyrique dans le domaine, attenant et plus étendu, de la psychologie musicale. Si Grétry s’attache, et de si près, à la parole, c’est parce que, selon lui, seule elle assure à la musique la justesse, la force, la vérité de l’expression. Et l’expression, voilà pour