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« impartialité. » Elle le tirait de cette modestie où l’on ne se rencogne pas sans nul chagrin. Elle l’animait. Et Benjamin Constant remarque méchamment qu’alors Bonstetten, « ne pouvait plus s’arrêter en parlant de ses ouvrages. » Qui eût parlé des ouvrages de Bonstetten ? Benjamin ? Non. Et Bonstetten, parlant de soi, se servait tout seul.

Après que Mme de Staël fut morte, il eut beaucoup de peine. Ces lignes témoignent de son regret : « Je ne vois jamais sans un serrement de cœur s’incliner la tête des grands peupliers qui entourent son tombeau. Elle me manque comme un membre perdu. Je suis manchot de pensée. » Mais il avait encore quinze années à vivre ; et il vécut, fidèle jusqu’à la veille de mourir à cette maxime souriante et rêveuse : « Il faut avoir confiance dans l’avenir et se plaire dans le nuage où la vie est suspendue. »


Bonstetten et Sismondi étaient grands amis et, plusieurs années, demeurèrent sous le même toit. « Dès que Sismondi ou moi, disait Bonstetten, avons quelque sujet d’ennui ou de joie, aussitôt nous sommes sur l’escalier, montant ou descendant l’un vers l’autre. » D’ailleurs, Bonstetten avait presque trente ans de plus que Sismondi ; mais, comme ils se rencontrèrent à l’époque où Bonstetten s’était mis à rajeunir, ils furent bientôt égaux en âge.

Sismondi a laissé le souvenir d’un homme un peu court, assez gros, aimable, aimant, dépourvu de grâce et de génie, laborieux, intelligent, quelquefois entêté de ses idées, dont l’une était le libéralisme. Un instant même, aux Cent Jours, il n’a pas craint de compter sur Napoléon Ier pour fonder l’Empire libéral. Un bon historien n’est pas tenu d’entendre à merveille son époque : il a ses habitudes et son train de méditation dans le passé. Le goût de la liberté ou, plus exactement, du libéralisme prit ce garçon dès l’enfance. Avec ses petits camarades, à Genève, au lieu de jouer aux billes, il jouait à la république. Et il était Solon. Il lui en resta toujours quelque chose.

Ce qu’il eut de plus charmant, ce fut sa mère. Elle avait quitté Genève au temps où la révolution n’y rendait pas la vie tenable et s’était établie en Toscane, non loin de Lucques et de Pesda. Elle s’occupait là d’une petite métairie ; elle y recevait assez souvent la visite de son fils et, quand il ne venait pas, continuait de le diriger dans les voies de la sagesse et de la prudence. Tout jeune, Sismondi, que les philosophes avaient ému comme un autre, eut la velléité de se mêler à la querelle religieuse. Il était encore près des livres et pétulant. Mme de Sismondi l’engage à ne pas « jeter ainsi feu et flamme. »