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deux classes, souvent mêlées et confondues, sur lesquelles, traditionnellement, se fondait et reposait l’Empire; la noblesse et l’administration. Milieu entre tous favorable au travail allemand, qui ne craint pas de s’attaquer à des besognes plus ardues. Quand on a constaté ce qu’ose l’Allemagne chez nous, où elle a infiniment moins de prises, ce n’est point s’abandonner à quelque penchant romanesque que de la soupçonner d’avoir employé en Russie ses instrumens de guerre favoris, qui ne sont pas tous proprement militaires, et l’on peut abréger l’adverbe en adjectif : qui ne sont pas tous très propres. Par quoi il n’a pas manqué de s’ajouter du mystère au mystère russe. Nous connaissons mal la Russie, et nous avons le tort de la juger d’après nos sentimens, nos idées, nos institutions, nos habitudes occidentales. Ici encore, il en faut rapporter le motif à son immensité et à sa diversité, mais elle ne tient pas dans nos cadres, elle ne se meut pas sur notre plan. De bonnes lectures, entre autres, pour ces soirées d’hiver, d’un troisième hiver de guerre, c’est, aux extrémités opposées de son histoire, d’une part le Pierre le Grand, de Voltaire, et de l’autre, si le rapprochement n’est pas trop surprenant, Russie et Démocratie, de M. G. de Wesselitsky. Qu’est-ce, en somme, que la Russie ? A l’origine, une théocratie-autocratie ; hier, une autocratie-aristocratie-bureaucratie ; aujourd’hui, une autocratie-bureaucratie-démocratie: demain, une autocratie-démocratie : les deux régimes ne sont nullement inconciliables. La Russie évolue très vite, si rien ne traverse son chemin, vers un césarisme de type classique, c’est-à-dire sollicité par la démagogie, sous le couvert de formes et de formules parlementaires. Ne pas pouvoir, à tout instant, se représenter cette évolution, c’est se condamner à ne pas comprendre la Russie, ni par conséquent rien de ce qui s’y passe.

Ce sont là bien des réflexions, et qui paraîtront sans doute tirées de loin, à propos des changemens de ministres qui se succèdent et se précipitent. Comme M. Trépoff avait remplacé M. Sturmer, le prince Galitzine a remplacé M. Trépoff. Devant le peuple russe en marche, des fumées montent et s’évanouissent, dont on n’aperçoit pas la flamme. M. Sturmer, qui n’a de slave que son prénom de Boris, s’était abîmé récemment sous la réprobation de la Douma, et l’on raconte que son ministre de la Guerre et son ministre de la Marine avaient aidé à son naufrage. Du moins on le croyait perdu, mais il n’avait fait qu’un plongeon, il a nagé entre deux eaux, et le voici de nouveau qui émerge, soutenant et tirant après lui son fidèle Manassévitch Manouiloff. L’écueil sur lequel, à son tour, est allé se