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que des avantages, que la révolte d’une partie de ses sujets contre leur légitime souverain ; il a cédé à la force, il a admis plus tard le fait accompli en s’alliant avec le roi d’Italie, mais le regret de ses provinces perdues l’a toujours hanté, et c’est pour en compenser la perte qu’il s’est jeté dans la politique balkanique. La pensée n’a probablement jamais traversé son cerveau que ce fût un bienfait, pour les populations de l’Italie du Nord, de vivre libres et unies selon leur vœu unanime ; pour lui il n’existait pas de droit contre le droit des rois.

Comment, sous son règne, la Bohême dont la langue n’était plus guère, au commencement du XIXe siècle, qu’un dialecte rural, dont la vie politique et les mœurs sociales s’étaient en grande partie germanisées, a réappris, à la voix de Palacky, à parler et à écrire sa belle langue tchèque, a repris pleine conscience de son existence nationale, s’est émancipée économiquement en s’enrichissant, a revendiqué son « droit d’Etat » et affirmé son idéal d’union en une grande nation tchéco-slovaque, c’est là un phénomène dont la genèse et le développement ont échappé à François-Joseph et dont, cependant, il a été, bien involontairement, la cause indirecte. Ce sont ses injustices et ses duretés à l’égard des Slaves de son empire qui ont obligé Slaves du Nord et Slaves du Sud à s’organiser, à se comprendre, à s’unir. Le Reichsrath, surtout après l’institution du suffrage universel, en réunissant leurs députés dans une même assemblée, leur a donné le sentiment d’une parenté de sang et d’une communauté d’intérêts, et cette notion, en s’élargissant, s’est étendue même aux Slaves de l’extérieur. Les Polonais seuls ont fait leur politique à part ; pour des raisons qu’il serait trop long d’analyser ici, la Couronne a trouvé son intérêt à leur accorder un traitement de faveur. Ils étaient défendus auprès d’elle par leur noblesse, qui avait gardé une grande influence sociale parce qu’elle était restée profondément nationale.

Chez les Tchèques, au contraire, le mouvement national est un mouvement populaire et intellectuel ; à peu d’exceptions près[1], la noblesse tchèque a été détruite après la Montagne Blanche et ce qui en est resté s’est germanisé. Pas ou peu de noblesse chez les Croates et les Serbes, non plus qu’en Bosnie

  1. Parmi les exceptions il convient de citer le comte Lützow, patriote tchèque, auteur d’un excellent abrégé d’histoire tchèque : Bohemia (Londres, J. M. De et Sons, 2e édition, 1909), et d’une histoire de Jean Huss.